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entier est plein de dieux qui lui doivent leur naissance. » Mais ce soleil, auquel Julien adresse tous ses hommages, n’est pas tout à fait celui dont nos yeux suivent le cours, que nous voyons tous les jours se lever et disparaître. Cet astre matériel est seulement l’image et comme le reflet d’un autre soleil que nos yeux ne peuvent saisir et qui, dans une région supérieure, au-dessus de la portée de nos regards, « éclaire les races invisibles et divines des dieux intelligens. » Il faut un effort d’abstraction pour comprendre les idées de Julien sur ces mondes qui s’étagent hiérarchiquement les uns au-dessus des autres et nous mènent de la sphère que nous habitons à celle où résident l’idéal et l’absolu. Mais les explications de M. Naville vont nous rendre ce travail plus facile. « L’univers visible, nous dit-il, est l’image d’un monde supérieur qui est son modèle, et l’on peut d’après l’image se faire une idée du modèle. De l’univers visible enlevez la matière et toutes les imperfections qui résultent de la matière ; augmentez au contraire par la pensée, élevez à l’absolu tous les élémens de perfection qu’il contient, et vous serez en chemin de vous faire une notion du monde supérieur. Là aussi, un principe central est le foyer d’où l’harmonie rayonne sur les principes subordonnés. Appelons-le, dit Julien, ce qui est au-dessus de l’intelligence, ou l’Idée des êtres, c’est-à-dire du Tout intelligible, ou l’Un, ou, selon l’usage de Platon, le Bien. De même que le soleil est entouré de l’armée des cieux et que les planètes dansent en chœur autour de lui, de même le Bien est entouré de principes intelligibles auxquels il distribue l’être, la beauté, la perfection, l’unité, en les enveloppant de l’éclat de sa puissante bienfaisante. Aux « dieux visibles » de l’univers correspondent les « dieux intelligibles » du monde supérieur. Ce monde supérieur est le monde absolu, la région des principes primitifs et des causes premières ; l’univers visible en procède et en reproduit l’ordonnance, mais il n’en procède pas directement. Entre ces deux mondes, entre l’Un absolu et l’Un divisé, entre l’immatérialité absolue et la matière, entre ce qui est absolument immuable et ce qui change incessamment, entre ce qu’il y a de plus haut et ce qu’il y a de plus bas, la distance est trop grande pour que l’un puisse sortir de l’autre immédiatement. Il faut un intermédiaire. Entre le monde intelligible νοητός (noêtos) et le monde sensible se trouve le monde intelligent νοερός (noeros). Le monde intelligent est une image du monde intelligible et sert à son tour de modèle au monde sensible, qui est ainsi l’image d’une image, la reproduction au second degré du modèle absolu. » M. Naville fait remarquer que la doctrine de Julien a la forme générale de la plupart des doctrines alexandrines ; elle est trinitaire. Sa triade se compose de ces trois termes : le monde intelligible, le monde intelligent, le monde sensible ou visible. A