Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/956

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique de sagesse qui a été constamment la nôtre. » C’est là précisément la question, le commencement de l’illusion et de la confusion. M. le président de la république, on nous permettra de le dire, prend ici ses désirs et ses intentions pour des réalités. La question est de savoir si c’est la « sagesse » du gouvernement qui a créé cette situation tranquille et facile due à une multitude de causes, surtout à un irrésistible besoin de paix intérieure et extérieure, — si la politique régnante n’est pas au contraire de nature à mettre en péril ce mouvement d’adhésion dont parle M. le président Grévy.

Eh ! sans doute, pour le moment la situation est aisée et peut prêter à l’illusion. La république, comme on le dit, « fait des progrès, » en ce sens qu’elle n’est pas sérieusement contestée, qu’elle est acceptée par le pays. Elle n’a point à redouter ses adversaires, qui seraient fort embarrassés pour la remplacer. Elle n’est menacée d’aucun côté, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur. Elle n’a rien à craindre que d’elle-même, ou plutôt de ceux qui la compromettent par une politique de parti, qui triomphent ou se rassurent parce qu’ils ne voient pas éclater immédiatement les conséquences des fautes qu’ils accumulent, et qui croiraient pouvoir impunément épuiser le crédit de confiance ouvert par le pays. C’est là justement le point vif et délicat de la situation.

Le danger, quelles que soient les apparences du moment, vient de ceux qui, par passion ou par faiblesse, prétendent faire de la république un gouvernement de parti, qui, sous prétexte d’un intérêt républicain, d’un idéal républicain, soulèvent toutes les questions, inquiètent des classes entières, et qui, au lieu de rallier ces « esprits sages » dont parlait l’autre jour M. Grévy, ne réussissent qu’à les aliéner. Le danger est dans cet esprit d’exclusion qui se manifeste par de véritables manies d’épuration et dans cet esprit d’infatuation qui se déploie parfois avec une sorte de candeur. Les plus vrais ennemis de la république, ce sont les satisfaits qui se multiplient singulièrement aujourd’hui, qui se complaisent dans leur règne ou dans le règne de leurs amis, et qui à tout avertissement, à toute objection ont une réponse invariable. « Quoi donc ! sont-ils toujours prêts à dire, est-ce que tout ne marche pas merveilleusement ? L’ordre et la paix règnent partout comme ils n’ont jamais régné ! les populations sont au travail sans trouble et sans crainte du lendemain. La rentrée des impôts dépasse toutes les prévisions. De l’argent, on en dépense de tous côtés, pour tout, sans trop compter, et on a pu réaliser encore des dégrèvemens. La prospérité publique ne cesse de s’accroître au sein d’une sécurité garantie. Est-ce que le pays, par les sympathies dont il a entouré M. le président de la république, par les élections dernières, ne vient pas de prouver qu’il sont les bienfaits du régime sous lequel il vit, qu’il accepte la politique que suit le gouvernement ? est-ce que ce n’est pas la sanction la plus