Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/955

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

campoix, et comment le génie maritime s’y était opposé ; le soir, il renouait connaissance avec ses amis les commis-voyageurs, qu’il a plus que jamais appelés ses collaborateurs, qu’il destine toujours à être les missionnaires de la république. M. Gambetta s’est montré un homme plein de ressource dans le soin de sa popularité, caressant d’une main hardie ceux qu’il veut conduire ou soumettre, déclinant l’admiration qu’on lui offre et se contentant de l’affection, c’est-à-dire du dévoûment, habile à lancer des paroles qui mettent les imaginations en éveil en leur ouvrant des perspectives indéfinies. Il a tenu à expliquer, presque à excuser son culte, sa passion pour l’armée, pour tout ce qui peut aider à la reconstitution des forces militaires de la France. Il n’avait pas à s’excuser d’une préoccupation qu’on ne lui reproche pas, et s’il veut que ce culte soit intelligent et efficace, digne de la France, il n’a qu’à s’inspirer du sentiment que M. le ministre de la marine exprimait en recevant M. le président de la république à bord du Colbert, en lui souhaitant la bienvenue par ces viriles et significatives paroles : « Vous voyez ici des hommes qui, étrangers à toutes les querelles des partis, sourds aux trop nombreuses excitations des passions politiques, n’ont qu’une pensée, un désir, un but suprême, la défense du pavillon de la France républicaine qui, dans sa majestueuse simplicité, flotte sur la poupe de nos vaisseaux. » C’est là le moyen de refaire réellement une armée, une marine après les désastres, et si on était revenu de Cherbourg avec cette pensée sérieuse au milieu de tant d’autres impressions de plaisir ou d’orgueil, le voyage n’aurait pas été infructueux, tout ne se serait pas évaporé en discours et en complimens.

Le malheur est qu’en toute chose, dans les voyages officiels comme dans les élections, on ne voit que ce qui flatte, on n’écoute que l’écho des acclamations, on n’a de regards et d’attention que pour les signes favorables, pour tout ce qui ressemble à une approbation ou à un encouragement, et si l’on parle encore des « difficultés, » après les combats « qui sont finis, » c’est avec l’imperturbable assurance de gens qui se croient désormais éternels. « Tenir ferme le gouvernail et barrer droit, » ce n’est pas plus difficile que cela, à ce qu’il paraît. « Rassurez-vous, s’écriait M. Gambetta devant une réunion prompte à Je croire sur parole, ne craignez rien, l’œuvre que nous avons fondée est indestructible. » Quelques jours auparavant, dans une des allocutions, d’ailleurs parfaitement modérées, qu’il a semées sur son passage, M. le président Grévy disait à M. le maire de Caen : « La république est jugée tous les jours davantage par ses effets, et elle rallie, pour les conserver solidement, les adhésions des hommes sensés, des esprits sages et pratiques ; c’est le fait qui ressort clairement des dernières élections, qui en détermine le caractère si rassurant pour le présent, plus encourageant encore pour l’avenir dont la plus sûre garantie est la persévérance dans la