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une honte pour l’orateur que de donner de fausses louanges à des gens qui n’en méritent aucune. On dit, au contraire, qu’il a tiré un bon parti de son art, quand sa parole a su grandir ce qui est petit, rapetisser ce qui est grand, et, pour tout dire en un mot, opposer à la nature des choses la force de son éloquence. » Nous voilà prévenus, et c’est notre faute si nous ajoutons quelque foi à ces hyperboles officielles. Laissons donc de côté tous ces mensonges pompeux, qui se trahissent par leur exagération même ; ce qui mérite de nous arrêter, ce qui est véritablement étrange et inattendu dans ces panégyriques, c’est la liberté avec laquelle Julien y touche à des sujets religieux et laisse voir ses opinions véritables, qu’il cachait ailleurs avec tant de soin. On ne peut l’accuser ici d’être un hypocrite ; aucune allusion n’y est faite aux doctrines chrétiennes, rien n’y révèle le prince qui fréquentait les églises et qui avait lu au peuple les livres saints. Il y est partout question de Platon et d’Homère, jamais de l’Évangile. Les sages de la Grèce tiennent la place que devraient occuper les docteurs de l’église ; c’est Platon seul que l’auteur nous cite, quand il veut prouver « que l’homme doit tendre à s’élever vers le ciel, d’où il descend ; » pour établir « qu’il vaut mieux pardonner une injure que de se venger, » il ne s’appuie que sur une maxime de Pittacus. Dans ce discours destiné à louer un prince chrétien, les vieux récits de la mythologie abondent, et non-seulement il les raconte avec plaisir, mais il les justifie. « Gardons-nous de croire, dit-il, ceux qui prétendent que, ce sont des mensonges inventés par des ignorans ; » et, pour prouver qu’ils se trompent, il nous donne une explication de la légende d’Hercule qui la rend très morale et fort raisonnable. Vers la fin du second discours, il est amené à tracer ce qu’il regarde comme l’idéal d’un bon roi : le portrait est beau, mais c’est celui d’un prince païen. Son premier devoir est la piété, c’est-à-dire « le culte des dieux. » Pour se bien conduire, « il faut qu’il ait l’œil sur le roi des dieux dont un vrai prince doit être l’organe et le ministre. » S’il se règle sur ce modèle, ses sujets l’aimeront et appelleront toutes les prospérités sur lui. « Les dieux à leur tour devanceront leurs prières, et tout en lui accordant d’abord les dons du ciel, ils ne le priveront pas de ceux de la terre. Enfin, quand la fatalité l’aura fait succomber aux chances inévitables de la vie, ils le recevront dans leurs chœurs et dans leurs festins et répandront sa gloire parmi tous les mortels. » Ne dirait-on pas qu’il voulait tracer d’avance le programme de son règne ?

Ainsi ces discours officiels, destinés à être prononcés dans des cérémonies solennelles, devant les principaux officiers de l’empire, sont pleins de souvenirs et de sentimens païens. On a quelque peine à comprendre qu’un prince suspect comme Julien ait osé les