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dans le domaine de la connaissance positive, à mesure que grandit celui de la science pure. Au début des recherches de l’esprit humain, la métaphysique n’est pas seulement la plus haute philosophie et la plus haute science ; elle est toute philosophie et toute science. Elle ramène toute étude à son objet ; elle impose sa méthode à toute recherche ; elle soumet toute observation et toute analyse à son but, qui est l’explication de toutes choses par un principe unique, au-delà duquel il n’y aura plus rien à chercher. Nulle science, si l’on peut appliquer ce nom aux résultats grossiers et incomplets d’une induction tout empirique, n’est réellement distincte et indépendante, dans ces premiers essais de philosophie naturelle et morale, où la préoccupation métaphysique est dominante. Le domaine de la connaissance humaine est un champ peu et mal cultivé, où tout est confondu, mathématiques, astronomie, physique, physiologie, histoire naturelle, psychologie, logique et morale, sous la vague lumière de cette pensée. La grande philosophie de Platon ne laisse point apercevoir distinctement les limites qui séparent les diverses parties qui la composent. Une seule pensée la remplit : c’est la théorie des idées qui se retrouve partout et domine toute cette synthèse.

Cette œuvre d’organisation ne fut accomplie que par le génie d’Aristote. C’est ce philosophe qui, en divisant le domaine de la pensée, a distingué, défini et constitué les sciences proprement dites, physique, histoire naturelle, logique, psychologie, éthique, politique, esthétique, en les couronnant par cette philosophie première qui avait pour objet de remonter aux principes de toutes les sciences. Dans sa vaste encyclopédie, il a su tout à la fois créer l’indépendance et marquer les rapports des sciences entre elles, devançant ainsi la philosophie de Comte dans son œuvre de classification. Et de plus, il en a fait une vraie synthèse par la haute pensée qui en pénètre et en éclaire toutes les parties. Il n’a pas seulement défini les rapports des sciences spéciales entre elles en les séparant ; il a également défini le rapport entre ces sciences et la philosophie première elle-même, en montrant avec une précision et une force admirables comment cette philosophie poursuit un autre but et embrasse un autre objet que les sciences. Cette noble spéculation de l’esprit, que les dieux pourraient nous envier, ne fait point partie du domaine scientifique ; elle le domine et explique les réalités de façon à faire comprendre à l’esprit l’objet de son savoir. Merveilleuse intelligence qui a partout substitué la distinction à la confusion, la lumière au chaos ! Il ne manqua à cette grande œuvre d’analyse et de synthèse qu’une connaissance des choses plus sûre, plus précise, plus complète. Faute de données