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Voilà le vice radical de la formule positiviste mis à nu par la lumière de la science historique. C’est parce qu’il ne comprend bien ni l’objet de la théologie ni l’objet de la métaphysique que le positivisme a pu imaginer sa loi des trois états absolument distincts et exclusifs l’un de l’autre. L’expérience psychologique confirmerait au besoin les conclusions de l’histoire. La pensée individuelle obéit aux mêmes lois que la pensée générale. Les trois états peuvent coexister distinctement, ou se mêler et se confondre dans l’individu, comme dans l’humanité. On a rencontré dans tous les temps, on rencontre aujourd’hui des théologiens très occupés de métaphysique, et des métaphysiciens qui croient sincèrement à la théologie. Ce double phénomène, qui n’est pas encore rare maintenant, était très fréquent au XVIIe siècle, et fait même le Caractère dominant de sa philosophie et de sa théologie. Descartes et Leibniz n’ont point renoncé à leur foi théologique, en faveur de leur doctrine métaphysique. Malebranche, Fénelon, Bossuet, ne sentaient pas du tout leur pensée métaphysique gênée par leur foi religieuse. Le traité de l’Existence de Dieu, la Connaissance de Dieu et de soi-même, la Recherche de la vérité, sont d’admirables livres de philosophie composés par des théologiens qui écrivaient en même temps leurs brûlantes élévations et leurs mystiques méditations sur la grâce, sur l’amour pur, sur le Verbe. D’autre part, on a toujours trouvé, et on trouve encore des savans qui croient à la métaphysique, et même à la théologie. Et nous ne parlons point ici de cette espèce de savans dont l’esprit reste entièrement fermé à la méditation théologique, aussi bien qu’à la spéculation philosophique, tandis que leur âme s’ouvre aux espérances que donne la foi, ou que leur imagination se prête aux rêves d’une métaphysique plus ou moins mystique. Nous n’avons en vue que les théologiens, les métaphysiciens et les savans dans l’esprit desquels coexistent les trois états de la formule positiviste. Qui ne connaît le goût d’un Kepler, d’un Newton, d’un Leibniz pour les études théologiques ? Et s’il en est ainsi, ce n’est pas seulement parce qu’il y a, dans la nature humaine, des instincts auxquels ces études et ces croyances donnent simultanément satisfaction, c’est encore et surtout parce qu’une distinction aussi tranchée que la suppose l’école d’Auguste Comte n’existe point dans la pensée ! Chose singulière, l’école qui a le plus accusé les écoles métaphysiques de réaliser des abstractions construit son système sur une abstraction que ni l’histoire ni la psychologie ne viennent confirmer.

La formule des trois états étant fausse dans son principe, les conséquences qu’en a déduites l’école positiviste sont fausses également. Les trois états ne se succèdent pas invariablement, et surtout ne se remplacent point, pas plus dans l’individu que dans