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conditions plus favorables, de manière à former une tradition non oubliée des plus grands esprits des temps modernes. Cet admirable esprit grec a pu s’égarer dans l’ivresse d’une dialectique subtile et trop prompte aux artifices de la sophistique. Mais il fut presque toujours fécond, quand il resta sérieux. Il le fut, même dans ses premiers débuts. Dans sa formule vague et peu scientifique d’un principe humide, Thalès entrevit certaines conditions de la naissance et de la formation des êtres vivans. Pythagore comprit que la loi des nombres règle l’ordre des phénomènes cosmiques. Démocrite conçut hypothétiquement le principe chimique des actions moléculaires dans sa théorie des atomes. Et ce difficile problème de la formation des êtres de la nature, qui préoccupe tant aujourd’hui la science et la philosophie modernes, et qui partage le monde savant entre deux grandes écoles, le vitalisme et le mécanisme, n’est-il pas déjà posé, sinon scientifiquement résolu, par les écoles de physiciens et de mathématiciens qui en ont essayé la solution métaphysique ? Même cette école d’Élée qui a tant abusé de la dialectique n’a-t-elle fait que spéculer dans le vide, que raisonner sur des mots ? C’est en contemplant le ciel que Xénophane aurait dit, selon Aristote, que tout est un. Et si, avec Parménide et Empédocle, il a saisi par une sorte d’intuition l’unité de substance et de système sous la diversité des phénomènes cosmiques, l’être sans le devenir, Héraclite n’a-t-il pas, en prenant le contre-pied de cette haute conception éléatique, fait ressortir avec une singulière force d’expression le mouvement de perpétuelle transformation qui emporte toutes choses dans le tourbillon de la vie universelle ? Et le physicien Anaxagore φυσιϰώτατος (phusikôtatos), qui faisait des expériences sur les êtres vivans, était-il un spéculateur abstrait, quand il expliquait, par la préexistence dans le chaos primitif de parties similaires, la formation des êtres de la nature sous l’action organisatrice d’un principe intelligent, qui dégageait ces parties de la confusion chaotique et les réunissait en touts complets ? Conceptions pures ou hypothèses grossières, dira-t-on ! Nous l’accordons ; mais ce n’étaient pas là des spéculations vides.

Socrate a fait descendre la philosophie sur la terre, comme l’a dit Cicéron : mais c’est pour l’y faire remonter par une voie nouvelle. Lui aussi a pensé que l’esprit devait tout connaître et tout expliquer en se connaissant lui-même. C’est ainsi qu’il s’est trouvé être un grand métaphysicien quand il a fait sortir de ce monde intérieur de la conscience l’explication des choses naturelles elles-mêmes ; Toutes les grandes écoles de la seconde et même de la troisième époque le reconnaissent pour maître. Les esprits les plus spéculatifs, comme les plus positifs, Platon, Plotin et Proclus,