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mathématiciens qui a trouvé dans la théorie des nombres l’explication de l’ordre cosmique ? Qu’était-ce que l’école atomistique, sinon une école de physiciens qui fut conduite à la théorie des atomes par une suite d’observations et même d’expériences ? Est-ce une vaine spéculation que cette théorie reprise et transformée par la science moderne ? Est-ce expliquer les choses par de pures entités que d’en chercher la cause dans un mécanisme géométrique, ainsi que l’a fait Démocrite ? Le positivisme pourrait nous dire que nous avons trop beau jeu, en choisissant pour exemple ce qui fut une exception, un accident heureux de méthode et de science positive, dans cette longue succession de spéculations et de discussions stériles. Mais Socrate, Platon, Aristote, Zénon et toute cette grande école qui expliquait l’ordre universel par le principe de finalité, n’étaient-ils que des abstracteurs de quintessence, des créateurs d’entités scolastiques ? Et particulièrement cette admirable philosophie aristotélique, que le positivisme ne semble voir qu’à travers les écoles du moyen âge, a-t-elle fait autre chose que de chercher dans l’analyse de la réalité, surtout de la réalité psychologique, le principe de cette originale et profonde théorie de l’acte et de la puissance sur laquelle est fondée toute la théologie du douzième livre de la Métaphysique ? Y a-t-il trace de spéculations a priori, et d’abstractions réalisées dans toutes ces formules si précises et qui répondent si bien à l’observation de la réalité ? Enfin, est-ce vraiment une époque de vaines entités que celle qui a vu paraître l’Éthique, la Poétique, la Politique et surtout l’Histoire des animaux ? Ce n’est pas le savant traducteur d’Hippocrate qui peut le penser. Mais alors que devient la loi des trois états ? Le philosophe qui a couronné son œuvre encyclopédique par la philosophie première est précisément celui qui a le plus heureusement accompli l’alliance du génie métaphysique et de l’esprit scientifique. On l’aurait fort étonné si on lui eût dit que sa métaphysique n’avait aucun rapport avec les sciences de la nature et qu’il l’avait faite avec de pures entités verbales. Mais pourquoi insister sur ce point ? Ne sait-on pas que, dans l’antiquité grecque, toutes les œuvres de raisonnement, d’observation, d’analyse et de science proprement dite se réunissaient, sans trop se confondre, sous le beau nom de philosophie ? Et si la métaphysique y dominait, ce n’était pas celle qui répond à la définition du positivisme.

Il est vrai qu’aucune de ces brillantes ou profondes spéculations n’a résisté à la critique, même dans l’antiquité. Mais il n’est pas d’historien sérieux et non prévenu qui ne reconnaisse qu’elles ont toutes laissé des vues générales, des principes féconds qui ont été recueillis pour être repris avec des données nouvelles et dans des