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au troisième, après tant de vains efforts et de longs détours, il ne peut plus, sans rétrograder, rentrer dans un ordre de fictions ou d’abstractions où le génie lui-même n’a jamais pu faire autre chose que l’œuvre de Pénélope.

L’école positiviste a-t-elle fait, dans le champ de l’histoire, une aussi décisive découverte qu’elle le croit et le proclame ? En attendant un sérieux examen, on peut lui accorder dès à présent que cette vue historique, qui a fait surtout sa fortune philosophique, ne manque pas de vérité. Il est manifeste que l’esprit humain a imaginé avant de penser, et qu’il a conçu les causes des phénomènes observés sous des formes sensibles et concrètes, avant de les comprendre sous des formules abstraites et purement intelligibles. Il n’est pas moins évident qu’une fois entré dans la période de la pensée proprement dite, il a dû se livrer plutôt à la spéculation pure et à l’hypothèse qu’à l’observation patiente et à l’analyse exacte, emporté par le désir d’expliquer par des synthèses prématurées la réalité qu’il avait sous les yeux. Si le positivisme s’était borné à cette observation, il n’eût donné prise à aucune critique. S’il eût, de plus, montré que la métaphysique, en prenant ce mot dans son sens le plus large, a occupé d’abord tout le domaine de la connaissance, et que peu à peu elle a cédé la place à la science, de façon à ne plus avoir de refuge que dans la haute sphère de la spéculation philosophique, on pouvait encore, sauf quelques réserves, lui accorder que l’histoire de l’esprit humain ne contredit point cette autre loi du progrès scientifique. Il n’eût fait que rappeler dés vérités déjà connues, d’où il n’eût pu déduire toute une théorie sur l’impuissance de la métaphysique. La loi des trois états a un tout autre caractère et une tout autre portée. Elle embrasse tout le passé théologique et métaphysique de l’humanité ; elle s’applique sans exception, sans distinction et sans restriction à l’ordre entier des phénomènes de la pensée, tel que l’histoire nous le révèle. C’est une formule absolue qui est l’expression d’une vraie loi, dans le sens scientifique du mot. Et c’est parce qu’elle a ce caractère qu’elle permet à l’école positiviste de conclure ainsi qu’elle le fait sur la valeur et l’avenir de la métaphysique.

Voilà ce que nous nous proposons d’examiner, en soumettant la formule positiviste à l’épreuve de l’histoire et de la psychologie. Les choses se sont-elles passées dans la réalité comme l’affirme le positivisme ? Les trois états sont-ils aussi distincts dans l’esprit humain, considéré psychologiquement ou historiquement, qu’il le prétend ? Se succèdent-ils invariablement ? se remplacent-ils toujours en se succédant ? L’expérience de cette succession, répétée pendant vingt siècles, est-elle aussi concluante qu’elle le paraît ?