Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/847

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anglais, ces conditions étaient de nature à coûter beaucoup à l’orgueil de Runjeet-Singh, et il s’efforça de les éluder par d’habiles manœuvres. Cependant Metcalfe, à bout de patience, saisissant, au milieu des fêtes par lesquelles le maharajah se délassait des fatigues de ses dernières campagnes, le moment où ce dernier n’était qu’à moitié ivre, s’aventura à lui présenter de nouveau son ultimatum. « Le choc, dit-il dans ses dépêches, suffit pour le dégriser à l’instant. » Cette fois encore, pour toute réponse, le monarque indien ordonna les préparatifs du départ de sa cour, alors établie à Umritur, et rentra à Lahore. Plusieurs mois se passèrent ainsi dans des luttes incessantes pendant lesquelles l’ambassadeur ne voulut jamais céder, et le 25 avril 1809, il eut enfin l’honneur de vaincre l’obstination du despote en lui faisant signer ce traité qui avançait la frontière anglaise jusqu’au Sutledje. Bien que s’étant soumis avec tant de peine aux conditions qui lui étaient imposées, Runjeet-Singh les observa fidèlement jusqu’à sa mort, arrivée en 1839 ; mais, lié du côté des possessions anglaises, son ambition prit un autre cours, et l’on sait qu’à l’aide d’une armée disciplinée à l’européenne par un Français, le général Allard, il réunit le Penjab, le Cachemyre et l’Afghanistan en un seul royaume qui ne lui survécut pas.

Un intérêt autrement vif s’attache, à l’heure où nous sommes, à la mission confiée à Elphinstone, car elle forme en quelque sorte le prologue de ce grand drame de l’Afghanistan auquel nous assistons en simples spectateurs. Chose singulière ! ce fut sur une menace de la France que l’Angleterre s’ouvrit, pour la première fois, l’accès de cet Afghanistan dont elle avait jusque-là redouté de franchir les frontières. La crainte de nos armes avait suffi pour déterminer le gouvernement des Indes à tenter l’aventure et, depuis le jour où l’envoyé de lord Minto les a traversées pour la première fois avec des intentions pacifiques, ces contrées n’ont jamais cessé d’être le théâtre des luttes les plus sanglantes. Aujourd’hui comme alors, les tribus indépendantes qui occupent les montagnes montrent la même ardeur pour en défendre les passes dangereuses avec une vaillance sauvage, et leurs soulèvemens s’étendent ainsi qu’une traînée de feu au milieu de ces défilés où elles s’efforcent de retenir les troupes anglaises. À toute domination étrangère elles opposent invariablement une indomptable résistance encore fortifiée par les féroces inspirations du fanatisme religieux ; aujourd’hui. comme alors, l’état politique et moral du pays ressemble à ce qu’était l’état de l’Europe au XIIe siècle, et le pouvoir des despotes qui, le gouvernent est lui-même à chaque instant ébranlé par des révolutions militaires ou par des intrigues de palais. N’est-il pas singulier qu’après tant d’années d’efforts pour introduire la civilisation dans