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I

Lord Minto quittait l’Angleterre au mois de février 1807, sur la frégate la Modeste, commandée par George Elliot, son second fils, et il débarquait à Madras après une navigation de quatre mois, ce qui passait alors pour une courte traversée. Avant de se rendre à Calcutta, résidence du gouverneur général, il s’était proposé de séjourner près d’un mois à Madras, afin d’y avoir plus de loisir pour prendre une connaissance préalable des affaires et de se mettre en mesure d’accomplir dignement la tâche qui allait lui incomber.

Essayons tout d’abord de nous représenter ce qu’étaient les Indes au moment où lord Minto allait prendre la direction générale du vaste empire soumis aux lois du gouvernement britannique. Le mécanisme des différens pouvoirs qui le régissait était passablement compliqué. Les autorités civiles et militaires, formant deux fractions à la fois distinctes par leur composition et confondues dans leurs attributions, étaient loin de vivre en parfait accord. Ce n’était pas une mince besogne que de les concilier. Il fallait traiter tantôt avec les Hindous et tantôt avec les mahométans, si nombreux aux Indes. Il importait d’entretenir des relations amicales avec les souverains alliés qui régnaient sur des territoires immenses, quelques-uns tributaires de l’Angleterre, et versant des impôts considérables dans ses caisses, d’autres recevant d’elle des secours en armes et en argent ; enfin, le gouvernement britannique, dans un intérêt commun, devait maintenir la balance égale entre ses pouvoirs et ceux de la puissante compagnie des Indes, l’honorable compagnie, ainsi qu’on la désignait alors, le plus immense et le plus florissant comptoir de commerce qui fut jamais. À ces considérations s’ajoutait le devoir, particulièrement recommandé à lord Minto, de remettre de l’ordre dans les finances obérées. Il remplaçait lord Cornwallis, qui, durant sa courte gestion, n’avait pas eu le temps de combler les vides que les vastes entreprises de lord Wellesley, son prédécesseur, avaient laissés dans les caisses de l’état, et c’était à la prudence du nouvel administrateur qu’il appartenait de continuer cette œuvre de réparation.

On peut se rendre compte, jusqu’à un certain point, de ce que coûtent les guerres en Europe. On peut évaluer, presque à l’avance, les frais énormes qu’entraînent les grands mouvemens des armées ; mais, dans les contrées lointaines où ces mouvemens rencontrent le plus souvent des difficultés inattendues, les chiffres prennent des proportions qui échappent à tout calcul. C’est par centaines de millions qu’au dire des plus optimistes se solderont les frais de la campagne que soutiennent actuellement les Anglais dans