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radicales étaient synonymes d’absurdité. Il transportait dans la vie privée ce bon sens élevé allié à cette vivacité et à cette flamme généreuse qui n’avaient reçu aucune atteinte de l’extrême vieillesse. L’auteur de sa biographie nous montre comment il conservait dans son rôle d’éducateur domestique le caractère éminemment moraliste. En dehors des vives affections de la famille, il était, dans le meilleur sens du mot, philanthrope. J’ajouterai, et lui-même ne s’en défendait pas, que, dans sa manière d’apprécier l’humanité, il était un peu optimiste, ce qui est peut-être la seule façon possible de l’aimer et de la servir sans se laisser aller aux déceptions et au découragement. Plus indulgent que sévère pour les individus, il avait un espoir presque illimité dans l’avenir de l’espèce, et, quoique son spiritualisme imprégné de sentiment chrétien ne lui permit pas de se faire illusion sur la persistance des mauvais instincts, il ne doutait pas du triomphe progressif des lumières sur l’ignorance, de la liberté sur les causes qui asservissent l’âme et le corps, et du bien sur le mal.

Ce sont là les hautes pensées qui remplissent ses discours prononcés à la cour de cassation de 1871 à 1877. Il y reprend, sous une forme plus concise et plus oratoire, les thèses fondamentales de philosophie juridique et d’économie sociale qu’il avait développées dans ses livres. Le premier de ses discours a pourtant un caractère moins théorique ; il se ressent des émotions du moment. Le nouveau procureur général rappelle qu’il vient prendre la place qu’occupait naguère un magistrat aimé et respecté de tous, et rend hommage au président Bonjean, tombé victime de la commune, soutenu, dit l’orateur, par la sérénité courageuse d’une âme restée maîtresse d’elle-même. A cet éloge se mêle la plus énergique flétrissure des horreurs de la commune. L’aspect même de la salle ou il parle raconte un des crimes de l’incendie, la cour n’est plus dans cette historique grand’chambre illustrée par le parlement de Paris, et où le tribunal et la cour de cassation avaient, dès leur origine, toujours tenu leurs assemblées. En face de ces désastres de la patrie mutilée par la guerre étrangère, humiliée et déshonorée par la guerre civile, M. Renouard fait un éloquent appel à tous les principes de réparation sociale. Il ne désespère pas du salut, mais il n’ignore pas à quel prix il doit être acheté. Le second discours est peut-être de tous celui qui offre le plus d’élévation et de vigueur. Il me paraît digne de tous points d’être relu et médité. Il retourne les termes d’une formule insolente et cynique, attribuée à un orgueilleux vainqueur, et s’intitule : Le droit prime la force. Après avoir posé les grands principes de justice, de liberté et d’égalité civile, l’orateur montre que chaque progrès de l’humanité a