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livre annoncé en une somme d’argent, par un consentement mutuel, rien n’est modifié dans le fond de la transaction. L’avocat est payé, mais le mandat est gratuit. Cela ne fait-il pas penser aux subtilités de casuistique si plaisamment raillées par Pascal, ou encore à ce bon M. Jourdain, disant : « Il y a de sottes gens qui me veulent dire que mon père a été marchand. » A quoi Covielle répond : « Lui marchand ! c’est une pure médisance, il ne l’a jamais été. Tout ce qu’il faisait, c’est qu’il était fort obligeant, fort officieux ; et comme il se connaissait fort bien en étoffes, il en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui, et en donnait à ses amis pour de l’argent. » Avec un peu moins de naïveté, Merlin a fait revivre l’opinion de Pothier ; il a outré la distinction entre le mandat et le contrat de louage, lequel ne s’applique qu’aux arts mécaniques. La même thèse a été reprise, avec beaucoup de force, par M. Troplong. Le célèbre jurisconsulte veut maintenir contre un matérialisme, égalitaire la part de noblesse et de désintéressement des professions libérales. À ce point de vue, il y a beaucoup de vrai dans ces paroles de l’auteur du traité du Mandat. « Le prix est de l’essence du louage ; il correspond à la valeur du fait, en est l’estimation exacte, est l’équivalent de l’ouvrage payé. Quand le mandat, gratuit par sa nature, devient salarié, l’honoraire laisse une inégalité entre la récompense et le fait : il n’a pas la prétention d’être l’équivalent du service rendu et a pour complément la gratitude. Cette distinction a passé du droit romain dans le droit français, où elle s’est profondément établie en harmonie avec la délicatesse de nos mœurs. » Avec non moins de raison, le même jurisconsulte proteste contre les exagérations de certains économistes qui, n’aspirant qu’à étudier l’emploi des forces humaines appliquées à la production, oublient le côté moral des actes. Le magistrat n’est pas un producteur d’arrêts, le prêtre, un producteur de prières, le littérateur ou le poète un producteur de livres. Si tous les hommes sont égaux, leurs actes ne le sont pas ; on ne saurait mettre tous les services sur la même ligne et passer le niveau de l’égalité sur toutes les professions. Vous n’avez pas le droit de dire au médecin, au professeur : « Je vous paie ; donc je suis quitte. » Soit ; et, assurément, M. Renouard ne trouvait rien à redire à des distinctions si conformes à la philosophie dont lui-même s’inspire. Il est évident que, dans de telles limites, elles ne répondent plus à un préjugé aristocratique, mais à un sentiment juste et délicat. Seulement, avec M. Duvergier, il conteste cette théorie du mandat gratuit et trouve sophistique l’application qu’on en fait. Ce qu’il y a là, ce sont des services rémunérés, qu’ils soient intellectuels ou matériels. Rien ne fera que ce soit d’une manière purement accidentelle, et non en vertu de sa profession, qu’un