Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/792

Cette page a été validée par deux contributeurs.
786
REVUE DES DEUX MONDES.

au lieu de charmer l’Olympe par leurs concerts, elles sont rappelées à leur première origine mythologique, elles redeviennent des nymphes des eaux, et non pas des eaux inspiratrices, mais des eaux poissonneuses du Nil, de l’Achéloüs, de cinq autres fleuves, qui représentent ce genre de richesses dans différentes parties de la terre, et l’on a soupçonné que leurs parens Piéros et Pimpléis, substitués à Jupiter et à Mnémosyne, personnifiaient par un jeu de mots étymologique, en même temps que les souvenirs de la Thrace poétique, l’embonpoint et la voracité. Ce chœur de Muses peu poétiques est donc composé des pourvoyeuses de la table des immortels, et quelques vers semblent indiquer que, dans la première forme de la comédie, le grand dieu Neptune remplissait une fonction analogue, ou faisait du moins le commerce maritime de filets dans l’intérêt des pêcheurs et de leurs cliens.

Ce festin de l’Olympe réalisait par l’abondance et la variété tous les rêves de la gourmandise ou plutôt de la gloutonnerie d’alors ; des énumérations sans fin en détaillaient au public toutes les richesses, poissons, coquillages, gibier, pains de toute sorte :

« Il apporte des coquillages de toute espèce, patelles innombrables, crabyzes, cécibales, téthyes, peignes, glands de mer, pourpres, huîtres aux valves bien jointes, qu’il est difficile d’ouvrir et facile d’avaler ; moules, anarites, carices, épées, douces au palais et dures aux doigts qu’elles piquent, solènes longues et ovales ; et la conque noire, que vendent tous les pêcheurs de conques ; et aussi les coquillages de terre, et ces coquilles de sable mal famées, sans valeur, que tous les hommes appellent androphyctides et que, nous autres dieux, nous nommons leucées. »

Il n’y avait que des populations maritimes pour fournir une pareille liste ; et encore nous n’avons pas tout. On ne peut songer à relever ici des mérites de premier ordre. Lisez cependant chez Rabelais ou ailleurs des énumérations analogues : outre que vous n’y trouverez plus le rythme poétique ni la langue fine et sonore de l’écrivain grec, vous y chercheriez vainement l’effet de cette multitude de noms qui se pressent et s’accumulent, relevés chemin faisant par des épithètes expressives, des traits descriptifs ou plaisans, des parodies, réunis et entraînés par le même flot de verve et de bonne humeur.

Dans le théâtre d’Épicharme ce thème de la gourmandise paraît avoir été inépuisable. Il y avait évidemment encore la peinture d’un repas dans la pièce intitulée : les Cômastes, ou Héphæstos. Il n’en reste guère que le titre ; mais ce titre est significatif, et l’on a pu reconnaître d’après des indices à peu près certains que les Cômastes avaient pour sujet un banquet où Bacchus enivrait Héphæstos ou, sous la forme latine, Vulcain, retiré à Lemnos par