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et l’Empire au IVe siècle. Rappelons seulement qu’il était le neveu de Constantin, qu’à la mort de son oncle il échappa par une sorte de hasard au massacre de sa famille, ordonné sans doute par le nouvel empereur, Constance, qu’il vécut ensuite près de vingt ans dans des inquiétudes mortelles, tantôt retenu au fond d’un château désert, tantôt interné dans quelqu’une des grandes villes de l’empire, toujours surveillé et menacé par un prince ombrageux et faible, qui ne pouvait se résoudre à le tuer, ni se décider à le laisser vivre. Pour se faire oublier, il se plongea dans l’étude et il y trouva la consolation de tous ses malheurs. Nommé césar par Constance, qui n’avait plus d’autre héritier, il fut élevé par ses troupes à la dignité d’auguste, et périt à trente-deux ans dans une expédition contre les Perses, après deux ans et demi de règne.

Ce qui frappe d’abord, dans cette courte existence, c’est la facilité avec laquelle, Julien sut se plier aux événemens, se transformer lui-même, devenir propre aux situations diverses où l’éleva la fortune et donner au monde des spectacles imprévus. Il n’avait encore vécu que dans les écoles et fréquenté que des sophistes, quand l’empereur l’envoya commander l’armée des Gaules, qui était aux prises avec les Germains. Cet ami passionné des livres, qui voyageait toujours en traînant une bibliothèque après lui, devint aussitôt un homme d’action. Il s’improvisa soldat ; on vit ce philosophe, à peine arrivé dans les camps, s’initier à la manœuvre, dont il n’avait aucune idée, et, pour commencer par les premiers élémens, apprendre à marcher au pas au son des instrumens qui jouaient la pyrrhique. Ammien Marcellin raconte que, comme il éprouvait d’abord quelque peine à y réussir, on l’entendit souvent invoquer le nom de Platon, ce maître chéri, qu’il regrettait d’avoir quitté, et dire avec découragement : « Ce n’est pas mon affaire : on a mis une selle à un bœuf. » Mais ce découragement ne dura guère ; en quelques jours, l’apprentissage était fini, et quelques semaines plus tard cet écolier devenu maître remportait des victoires. N’était-ce pas l’instinct d’une race militaire qui se réveillait tout d’un coup chez le petit-fils de Constance Chlore ? On sait qu’en peu de temps il rendit confiance aux armées, qu’il prit des places fortes, qu’il gagna des batailles, qu’il chassa les barbares, et qu’on le regardait, quand il mourut, non pas seulement comme un de ces capitaines de génie qui trouvent, en présence de l’ennemi, des inspirations heureuses, mais comme un manœuvrier habile qui connaît à fond tous les secrets de l’art de la guerre. C’est en combattant qu’il les avait appris. Je ne crois pas que l’histoire offre beaucoup d’exemples d’une transformation aussi brusque et d’une aptitude qui se soit si vite révélée.

Si l’on avait été fort étonné de voir cet élève des sophistes devenir