Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si le parti républicain s’entend moins à gouverner le pays qu’à manier le corps électoral, cela ne tiendrait-il pas, entre autres causes, à la supériorité même de l’organisation à laquelle il doit la conquête et la conservation du pouvoir ? Toute-puissante pour vaincre aux élections, cette organisation n’est-elle point un obstacle à la direction ferme, indépendante, vraiment nationale des affaires publiques, en ce qu’elle place le gouvernement sous la dépendance des élus, et les élus eux-mêmes sous la dépendance des comités d’élection ? C’est ce que l’expérience démontre déjà et démontrera de plus en plus, si les choses suivent leur cours. Depuis que le parti républicain est le maître incontesté du pouvoir, on voit ce qu’est devenue l’autorité, l’initiative, l’indépendance des cabinets devant les volontés des élus du suffrage direct. On le voit par cette politique de concessions, de transactions, d’expédiens pratiquée par les ministères qui se succèdent. Ce qu’on sait moins, c’est que nos ministres n’ont pas plus d’indépendance dans leur administration que dans leur gouvernement, et que les exigences individuelles de nos élus ne sont pas moins impérieuses que leur prétentions parlementaires. En réalité, si c’est la majorité républicaine du parlement qui gouverne, c’est elle également qui administre. Les fonctionnaires de tout ordre et de tout rang dépendent bien plus des sénateurs, et surtout des députés que des ministres, leurs chefs naturels, envers lesquels ils sont responsables. Ce sont les membres du parlement qui décident le plus souvent des questions de personnes et des questions d’affaires, lesquelles ne passent dans le cabinet ou au conseil des ministres que pour recevoir la confirmation officielle. Mais ce qu’on ne sait pas du tout, c’est que les maîtres des ministres ont eux-mêmes leurs maîtres dans les comités électoraux qui ont fait leur élection. Ces comités signifient leurs volontés individuelles ou générales aux élus qui les transmettent aux ministres, qui ne font guère que les enregistrer. Voilà comment fonctionne la machine gouvernementale et administrative sous le régime actuel. C’est le gouvernement d’en bas substitué au gouvernement d’en haut. Il y a des républicains qui estiment que c’est là l’idéal du gouvernement démocratique. D’autres pensent, au contraire, que toute initiative, en fait du gouvernement et d’administration, doit partir d’en haut, que c’est là l’essence même du gouvernement, sous une république comme sous une monarchie, que toute autre manière de gouverner et d’administrer est l’antipode du gouvernement et de l’administration, c’est-à-dire la pure anarchie. Sans vouloir pénétrer dans les desseins du chef de la majorité républicaine, nous ne nous risquerons pas beaucoup en affirmant que la première manière d’entendre le gouvernement et l’administration ne peut être de son