Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démagogues, dans le sens antique du mot, tenant sous leur parole insinuante ou entraînante tout un peuple réuni sur une agora ou un forum. Il y a bien encore des réunions populaires où l’éloquence d’un tribun peut avoir beau jeu. Mais combien est petit ce nombre d’électeurs en comparaison des multitudes qui se pressent autour des urnes ! Ce n’est pas là qu’il faut chercher les démagogues de notre temps. Rendons cette justice aux partis démocratiques de notre pays qu’ils méritent leur succès par leur habile et forte organisation en matière d’élection. La tête du parti est un grand comité directeur qui médite et formule le mot d’ordre des élections ; nous disons le mot d’ordre, qu’il a toujours soin de choisir le plus simple et le plus populaire, et non un programme plus ou moins compliqué qui ne serait ni à la portée de l’intelligence ni du goût du suffrage universel. Ce mot d’ordre est transmis à des comités de département, si c’est le scrutin de liste, d’arrondissement, si c’est le scrutin uninominal. Et ce sont ces comités, encore aides par des sous-comités, qui sont chargés de le faire accepter des masses. C’est particulièrement dans cette tâche que se déploie tout l’art de la démagogie moderne. Nul ne connaît mieux les goûts, les instincts, les préjugés, les passions, les impressions du peuple souverain qu’un comité local ; nul ne sait mieux lui parler le langage qu’il entend et qui le persuade. L’éloquence de nos tribuns n’a ni cette adresse, ni ce tact, ni cet à-propos. Elle peut frapper de grands coups en s’adressant aux grandes passions, aux grandes ambitions, aux grands intérêts de la démocratie nationale. Elle ne pénètre pas, comme la propagande des comités, dans les petites passions, les petits intérêts, les petites ambitions de la démocratie locale. En cela, les plus humbles délégués de ces comités en remontreraient aux plus habiles orateurs dont la parole ne descend pas jusqu’à ces détails si importans pour le succès d’une élection. Voilà un art que, par parenthèse, les partis parlementaires n’ont jamais connu dans notre pays. Ils ont des orateurs qui font de beaux discours à la tribune. Ils ont des comités généraux qui adressent de nobles, d’excellentes circulaires aux électeurs. Tout cela tombe de haut, mais ne descend guère dans les profondeurs des masses populaires. Il n’y a qu’un parti qui ait pratiqué l’art des élections populaires avec la même adresse, la même ardeur et le même succès que le parti républicain : c’est le parti de la démocratie césarienne. Les autres parlent au suffrage universel la langue qui sied au suffrage restreint ; ils confondent l’opinion publique avec le sentiment populaire ; ils pratiquent les élections sous le régime de la démocratie comme ils les pratiquaient sous le régime de la monarchie constitutionnelle.