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bon du jacobinisme opportuniste ou radical. Plus de calcul d’un côté, plus de passion de l’autre : qu’importe à la liberté, à la justice, à l’intérêt national ? Nos empiriques ne feront guère moins de mai avec leurs expédiens que nos doctrinaires avec leurs théories.


V

Si le parti de la république libérale et conservatrice n’avait affaire qu’aux jacobins radicaux, il ne lui serait pas difficile d’en avoir raison en ce moment, parce qu’il aurait bien vite rallié le pays et la majorité républicaine elle-même autour de son drapeau. Mais le suffrage universel, qui finit toujours par ouvrir les yeux, ne les a pas encore ouverts sur les conséquences inévitables de la politique qui domine en ce moment. Assurément, il se fait beaucoup de choses qui sont de nature à inquiéter l’opinion publique et à troubler les classes dans lesquelles elle se forme. Mais ces choses-là, qui ne touchent qu’aux droits de la conscience religieuse ou de la justice administrative, n’atteignent pas encore les masses populaires. Les lois Ferry et les décrets contre les congrégations non autorisées les émeuvent fort peu. De ces congrégations, elles ne connaissent guère que les jésuites, dont le nom sonne mal à leurs oreilles. Elles ne voient donc pas avec trop de déplaisir les mesures qui les frappent. Ce serait différent si l’on touchait aux prêtres. A l’exception d’une minorité peu nombreuse qui applaudirait à cette guerre au clergé, le grand peuple de France se lèverait encore pour le défendre, pourvu qu’il ne s’agît pas de défendre sa domination. Le parti qui gouverne comprend trop l’inopportunité d’une telle entreprise pour la tenter. Il se risque bien à porter atteinte à la liberté religieuse, mais seulement dans la mesure qui convient pour donner satisfaction aux passions et aux rancunes électorales, sans révolter les populations qui tiennent encore à leurs prêtres. En livrant les jésuites, il entend garder le clergé, qu’il espère gagner en augmentant son budget, et qu’il compte, au besoin, dominer. Le peuple est également peu sensible aux vexations et aux épurations subies par les fonctionnaires de nos diverses administrations. Il en est de ces questions de justice comme des questions de liberté ; elles passent par-dessus la tête du suffrage universel. Les républicains libéraux et conservateurs auront donc fort à faire pour ouvrir les yeux au pays, avant que la politique jacobine ait eu toutes ses conséquences, avant que la désorganisation des services publics soit complète, avant que la magistrature ait perdu son indépendance et son autorité, avant que la