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pourrait bien ne pas s’en tenir à la résistance des républicains libéraux et conservateurs. Le radicalisme jacobin ne peut compter sur le suffrage universel pour le moment. S’il a déjà pour lui des bataillons nombreux et serrés dans le peuple des villes, il aurait encore contre lui les plus gros bataillons du peuple des campagnes. Les aura-t-il un jour pour lui ? Ceci est une autre question, que l’activité de sa propagande et la faiblesse de nos gouvernans rendent fort douteuse.

En attendant, une autre chose peut arriver, qui nous semble très probable : c’est qu’au lieu de résister, nos jacobins opportunistes ne se maintiennent au pouvoir qu’en cédant toujours. Les progrès croissans qu’ils laissent faire à leurs violens amis doivent leur donner à réfléchir, surtout en ce moment. Entre les conservateurs de tous les partis, réunis contre eux pour la défense du droit commun, et les jacobins radicaux, qui frappent déjà à la porte du pouvoir, comment pourraient-ils résister ? Ils ne peuvent se flatter de retrouver dans le camp conservateur les forces qu’ils perdent chaque jour par la défection des électeurs qui vont aux partis extrêmes. Ils n’ont donc guère qu’un parti à prendre, c’est de s’entendre, quoi qu’il leur en coûte, avec leurs redoutables amis. Le duel entre les partis révolutionnaires, du temps de nos pères, finissait par la guillotine. Nous vivons à une époque où les luttes politiques entre les amis de la veille finissent d’une façon moins tragique. On s’attaque, on s’injurie même en public, sauf à s’embrasser en famille. La camaraderie est si forte dans le parti républicain, et la discipline si rigoureuse qu’on va jusqu’à y oublier les principes pour rester fidèle aux amis. Pourquoi le chef des jacobins opportunistes n’a-t-il pas saisi l’occasion, pendant les vacances parlementaires, de répondre au chef des jacobins radicaux qui a si malmené sa politique ? C’est un secret qu’il garde, depuis qu’il pratique la maxime de la sagesse orientale : Si la parole est d’argent, le silence est d’or. On s’entendra donc encore, en sacrifiant les intérêts du pays aux intérêts de parti. On s’entendra surtout en vue des élections prochaines. N’est-ce pas pour cela, par parenthèse, qu’on s’est mis enfin d’accord sur l’amnistie plénière ? On confondra ses enseignes, comme par le passé, sous le drapeau de la république, et on partagera la victoire ou la défaite. Notre prévision est qu’à moins de grandes démonstrations populaires qui décideraient les jacobins radicaux à rompre entièrement avec les jacobins modérés, l’alliance des deux partis se maintiendra à l’aide de concessions qui tendront à rapprocher de plus en plus la politique opportuniste de la politique radicale, parce que celle-ci aura pour elle le courant révolutionnaire. Quoi qu’il arrive, le pays n’a rien à attendre de