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correctionnelle, à la justice civile comme à la justice criminelle. Ce serait là le triomphe de la logique démocratique : le peuple exerçant en tout et partout son pouvoir souverain, faisant office d’électeur, de juge, d’administrateur. Il ne manquerait plus pour complément du système que de faire élire les officiers de l’armée par leurs soldats, absolument comme les officiers de l’ancienne garde nationale, ou de la mobile de 1870.

Sur la réforme des administrations, le même parti a aussi ses idées qui, par parenthèse, n’eussent pas été du goût des anciens jacobins. Il se rapprocherait en cela beaucoup plus de la gironde que de la montagne. Il veut une décentralisation qui mette entre les mains d’un conseil municipal, dans chaque commune, à peu près tous les services de l’administration locale, de façon à laisser la moindre part possible à cette autorité centrale qu’on nomme l’état. Ce serait à peu près le système américain, avec cette différence que partout les conseils municipaux, maîtres absolus dans leur commune, seraient eux-mêmes les serviteurs d’un parti qui couvrirait le pays de ses comités, comme autrefois le parti jacobin de ses sociétés. Ce serait l’idéal de l’anarchie couronnée par la dictature. A côté d’une aussi grande conception, que deviennent les petites combinaisons de la politique d’expédiens, telles que l’épuration ou l’intimidation des administrations publiques ?

Mais il est une question sur laquelle les deux fractions du jacobinisme actuel montrent surtout, l’une sa prudence, l’autre son audace. Il s’agit de la constitution, que la fraction opportuniste a contribué à faire, et que la fraction radicale s’est résignée à subir. Que veut la première sur la question constitutionnelle ? Ne rien changer à la lettre de la constitution de 1875, sauf à en oublier, au besoin, l’esprit dans la pratique. Ainsi on ne songe nullement à supprimer le sénat ; mais on s’arrange de façon à s’en passer. On lui reconnaît en principe le droit de voter et même de discuter le budget ; mais on s’y prend de façon à ce qu’il n’ait que le temps strictement nécessaire pour le voter sans pouvoir l’amender sérieusement. On lui reconnaît aussi le droit de discuter et de repousser les lois déjà votées par l’autre chambre ; seulement, s’il a le malheur d’en rejeter un seul article, on trouve dans les archives de notre vieille législation des lois ou des décrets qui permettent au gouvernement de ne tenir aucun compte du vote du sénat. On fait plus, on aggrave par l’application de ces lois l’atteinte portée aux libertés de droit commun par l’article 7. Nos jacobins radicaux applaudissent à cette manière de pratiquer la constitution ; mais ils veulent encore autre chose. Ils trouvent que ce n’est pas là une satisfaction suffisante aux principes de la logique démocratique. Pourquoi conserver une constitution qui en est la négation