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s’oppose à mes désirs ? si l’on m’aime par caractère, tout autre remplira… Non, je ne puis m’arrêter à cette idée ; je m’indigne de mes contrariétés ; je gémis sur la pauvre humanité sans pouvoir me donner les forces nécessaires pour la dépouiller. Tâchons cependant de concentrer mon cœur au dedans de moi et de laisser ignorer ce qui l’occupe. Ne regrettons rien…


Cette prière, que Mme Necker a laissée inachevée, peint mieux que tout ce que je pourrais dire le trouble de son cœur dans les momens où elle méconnaissait son bonheur, le caractère de son mari, et sa tendresse profonde. Dans ces momens, tous les souvenirs douloureux revenaient assaillir en foule son imagination en délire. Elle se reportait par la pensée à ces années d’une jeunesse difficile qu’elle avait passées seule avec sa mère, et le remords des chagrins qu’elle craignait de lui avoir causés par les inégalités de son humeur devenait pour elle une nouvelle source de tourmens. C’était encore dans le sein de Dieu qu’elle cherchait un refuge, et c’était aux promesses d’une vie future qu’elle demandait l’espérance d’une félicité qu’elle n’espérait plus trouver sur la terre :


Mon Dieu, oh ! le meilleur et le plus parfait de tous les êtres, source unique du bonheur, toi qui créas mon âme pour t’adorer, tu sais si j’ai cessé un seul instant de mériter ton amour. Sans cesse occupée à te plaire, mes premières pensées t’ont été consacrées, et mon dernier soupir s’échapera vers toi. Mais si tu es mon Dieu, n’es-tu pas aussi mon père ? Ne permettras-tu pas à mon cœur angoissé de se répandre devant toi ? Je t’adore et je m’élève jusqu’à toi. Mon amour fait évanouir la distance qui nous sépare ; il est immense comme elle. Je suis à la source du bonheur, mais il s’échape loin de moi comme un fleuve rapide, et bientôt il va se perdre dans un précipice inconnu. Grand Dieu qui me donnas l’être, tu me comblas de tes bienfaits. Une mère vertueuse et trop tendre caressa mon enfance. Jours heureux où je pouvois faire naître le bonheur, vous êtes perdus pour moi ! Oh ! ma mère, vous êtes dans le sein de mon Dieu, peut-être insensible à mes peines. Des objets plus dignes de votre attachement vous ont fait oublier une fille chérie. Ah ! quelle affreuse idée ! J’irai auprès du throne, je vous rappellerai les larmes que j’ai versées et celles qui dans ce moment arrosent mon visage. Hélas ! ne vous souviendrez-vous point que vous m’avez tant aimée ? Tendez-moi du haut des cieux une main secourable. La mort approche et vous n’êtes pas auprès de moi pour m’en cacher l’horreur. Des mains étrangères fermeront mes yeux. Hélas ! pardonnez, j’avois cru qu’un époux… Mais quel cœur peut égaler celui d’une mère ! Trop longtemps aveuglée par un sentiment indéfinissable, j’ai pensé oublier dans les bras de l’hymen que mes