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omissions dans ses devoirs quotidiens qu’elle croyait avoir à se reprocher. Tantôt, pour être assurée de ne faire aucun usage de son temps dont elle eût lieu de se repentir, elle prenait note chaque soir de l’emploi de toutes ses heures, depuis son lever jusqu’à son coucher. Pour mieux rassurer sa conscience, elle essayait même de distribuer chacune de ses journées suivant un plan arrêté à l’avance et qu’elle comptait suivre invariablement. C’est dans cette pensée qu’elle avait commencé un journal en tête duquel elle écrivait : Journal de la dépense de mon temps, et qui s’ouvre ainsi :


Dieu m’a donné vingt-quatre heures à dépenser par jour ; voici le journal qui doit en régler l’emploi, car je n’ai qu’un seul but : celui de plaire au plus parfait de tous les êtres et de remplir la tâche qu’il m’a donnée. Dieu sera le mobile et la fin de toutes mes actions, la pensée dominante vers laquelle je les dirigerai toutes ; mais il n’exige pas de moi de trop longues contemplations. Je suis un domestique fidelle, sans cesse occupée des intérêts de mon maître, mais qui n’ose m’entretenir longtemps avec lui, sentant bien qu’il est trop élevé au-dessus de moi par ses perfections pour n’être pas importuné de mon verbiage. Je donnerai donc dix minutes le soir à implorer sa protection, et vingt minutes le matin à lui représenter l’emploi de mon temps du jour précédent, à lui demander son secours et à renouveler mes résolutions, afin que son idée me soit présente dans toute la journée. Voyons maintenant l’emploi de mon temps pour plaire à Dieu.


Continuant alors l’examen de sa vie, elle découvrait qu’elle avait, suivant une expression qu’elle aimait à employer, sept rapports : son mari, son enfant, ses amis, les pauvres, le ménage, la société, la toilette, et après avoir déterminé le nombre d’heures qu’il convenait d’accorder chaque jour à chacun de ces rapports, elle commençait la tenue d’une sorte de livre-journal divisé en sept parties, où elle se proposait d’inscrire cette comptabilité d’un nouveau genre pour s’assurer, par une addition faite à la fin de chaque mois, que chacun de ses rapports avait bien tenu dans sa vie la place qu’elle lui avait assignée. À peine est-il besoin de dire qu’au bout de peu de temps le journal était abandonné, et que la vie, plus forte que tous ces plans ingénus, venait bientôt briser ce cadre artificiel. Aussi, pour achever de faire connaître Mme Necker, n’ai-je pas eu besoin de m’y renfermer, et d’ailleurs j’ai déjà marqué la place que tenaient dans sa vie la société et les amis. Mais parmi ces rapports (pour reprendre son expression favorite) il en est deux où je voudrais l’étudier : son mari et son enfant. Peut-être cette étude nous donnera-t-elle le secret des tristesses de Mme Necker en nous montrant comment les exigences trop grandes de sa