Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fût porté à la dernière extrémité. La révolution a prouvé que les plus anciens abus peuvent être déracinés. Pourquoi pas un de plus ? Le mal, c’est de ne demander qu’une demi-justice, car alors on n’obtient rien. Il faut donc aller jusqu’à la justice entière.

Un autre contradicteur envoyait à Babeuf une lettre d’objections et de critiques, auxquelles celui-ci répondait dans le Tribun du peuple. On objectait que le partage des terres avait souvent eu lieu dans l’histoire, mais qu’il n’avait jamais duré. Babeuf n’avait pas de peine à répondre qu’il ne s’agissait plus de partage, mais de communauté : travail commun, jouissance commune ; le travail s’impose à tous pour alléger le sort de chacun. Mais, ajoute-t-on, que fera-t-on des productions de l’esprit ? Porterai-je mon tableau, mon poème, mon invention chimique au magasin ? Babeuf avoue franchement que, si la perte des arts devait être la rançon du bonheur commun, ce ne serait pas déjà un si grand malheur. Mais, au contraire, ajoute-t-il sans dire pourquoi, ils recevront un accroissement sublime. L’intérêt personnel, dira-t-on, est la source du travail. Il répond que le travail, devenant modéré, deviendra par là même une occupation amusante. Nous sommes ici sur la voie du travail attrayant, mais il n’en donnait pas les moyens. Il faudra toujours un gouvernement, ajoute le contradicteur. — Sans doute ; mais il sera très simple, et ayant peu de besoins, il ne sera pas tenté d’abuser. Enfin on objectait l’étendue du territoire. Mais si ce régime est possible sur un petit territoire, pourquoi ne le serait-il pas sur un plus grand ? — Bientôt cependant le moment vint où il ne fut plus question de discuter, mais d’agir : c’est le moment où Babeuf appartient tout à fait à l’histoire.


III

C’est dans la prison du Plessis, avons-nous dit, que Babeuf noua les premiers fils du célèbre complot qui porte son nom. Pendant très longtemps, ce complot avait été mis en doute et avait passé pour une invention du directoire. Mais la publication de Buonarotti, qui en était et qui en a raconté l’histoire, en donnant les pièces les plus curieuses, a levé tous les doutes. La conjuration a existé. Les premiers conjurés furent Buonarotti, Germain, Darthé, Bodson, auquel, nous l’avons vu, on attribue d’avoir exercé une influence considérable sur l’esprit de Babeuf, enfin Potofeux, ami de Robespierre, et qui servit d’intermédiaire entre les babouvistes et les anciens montagnards.

C’étaient les journées de germinal et de prairial qui avaient réuni ces différens personnages dans la prison du Plessis. Sortis de prison, après vendémiaire et après l’amnistie du 4 brumaire, ils