Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la liberté n’aurait été faite, qui, pendant cinq ans, a été la terreur de l’aristocratie, et au nom de laquelle tremblait la gironde. »

Tous ces extraits sont tirés du Journal de la liberté de la presse, c’est-à-dire du journal de Babeuf sous sa première forme, avant qu’il ait jeté le masque et soit devenu le Babeuf de l’histoire : on voit que ce ne sont nullement là les sentimens d’un modéré. Néanmoins il faut reconnaître que, si Babeuf partageait à cette époque les opinions démocratiques les plus exagérées, si même on peut trouver déjà dans ses écrits les premières traces de ses doctrines sociales, cependant il était alors sincère dans son aversion pour le système terroriste : « Je suis, disait-il dans sa Vie de Carrier[1], je suis encore, sur le chapitre de l’extermination, homme à préjugés. Il n’est pas donné à tous d’être à la hauteur de Maximilien Robespierre. » Sa sincérité en cette circonstance est prouvée parle repentir même qu’il en éprouva plus tard. Il écrivait en effet à Bodson, lorsqu’il noua les premiers fils de sa conspiration : « Je confesse que je m’en veux d’avoir autrefois vu en noir le gouvernement révolutionnaire de Robespierre et de Saint-Just. Ce gouvernement était diablement bien imaginé. Je ne suis pas du tout d’accord avec toi qu’il ait imaginé de grands crimes et fait périr bien des républicains. Pas tant ! Je n’entre pas dans l’examen si Hébert et Chaumette étaient innocens. Quand cela serait, je justifie encore Robespierre… Mon opinion est qu’il fit bien. Le salut de vingt-cinq millions d’hommes ne doit pas être balancé contre le ménagement de quelques individus équivoques. » Ainsi, plus tard, Babeuf reniait ses velléités de clémence et d’humanité ; mais cela même prouve qu’elles étaient bien conformes à ses vrais sentimens au moment où il les exprimait.

Nous venons de voir Babeuf, thermidorien, adversaire de Robespierre et des jacobins, et pouvant se confondre, aux yeux de ceux qui n’y regardaient pas de très près, avec les partis contre-révolutionnaires. Mais bientôt sa vraie politique se dessine ; le révolutionnaire reparaît : nous sommes en présence du vrai Babeuf, du Babeuf de l’histoire.

Ce changement se manifesta d’abord par le changement de titre du journal. Le là vendémiaire an II (1794), le Journal de la liberté de la presse prend le nom du Tribun du peuple[2] ; et lui-même commence à signer : Gracchus Babeuf. Il choisit pour épigraphe le premier article de la constitution de 93 : « Le but de la société

  1. Il avait publié après thermidor un écrit Intitulé : Système de dépopulation ou la Vie et les Crimes de Carrier. M. Ed. Fleury cite encore quelques autres pamphlets de Babeuf contre les Jacobins : les Jacobins jeannots. — Voyage des Jacobins dans les quatre parties du monde.
  2. C’est le n° 23 du journal qui inaugure cette transformation.