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épique intitulé la Basiliade[1] dans lequel il combattait déjà sous forme allégorique le droit de propriété : c’est surtout dans le Code de la nature qu’il a exposé et développé ses principes. Ce livre est de la famille de l’Utopie de Thomas Morus, de la Cité du soleil de Campanella, etc., et il est lui-même l’original des constructions utopiques analogues qui ont paru de nos jours. L’auteur part d’une idée philosophique qui n’est pas sans valeur et sur laquelle plus tard un esprit bien plus original, Ch. Fourier, a fondé son système, à savoir l’idée d’une accommodation du mécanisme social aux passions humaines, de manière qu’il fût impossible à l’homme d’être méchant ; mais cette idée est à peine indiquée dans Morelly et très faiblement développée. Passons également sur la polémique contre la propriété, qui n’a rien d’original, pour arriver au système d’organisation sociale qui est le type qu’ont reproduit tous les communistes modernes depuis Babeuf jusqu’à Cabet. Il faut distinguer, suivant Morelly, plusieurs systèmes de lois : les lois fondamentales ou lois sacrées, — les lois de distribution, — les lois somptuaires, — les lois de police, — les lois conjugales ou d’éducation, — enfin les lois pénales. Les lois fondamentales sont au nombre de trois : point de propriété ; — tout citoyen est un homme public, un fonctionnaire ; — tout citoyen doit contribuer à l’utilité publique. Ces trois lois résument le système. S’il n’y a point de propriété, il faut que l’état nourrisse l’individu ; mais il ne peut le nourrir sans que celui-ci travaille pour l’état : être nourri, c’est un droit ; travailler est un devoir. Après les lois fondamentales viennent les lois distribuées, les plus importantes de toutes dans le système communiste : nécessité de dénombrer toutes les denrées ; emmagasinement de celles qui sont susceptibles d’être conservées ; marchés ouverts pour celles qui se consomment rapidement ; interdiction des échanges et du commerce, si ce n’est d’état à état ; distributions journalières des denrées nécessaires à la vie ; telles sont les principales de ces lois. Elles ne règlent pas seulement la consommation, mais encore la production. Les citoyens sont divisés par dizaines ou par centaines, qui fournissent chacune un nombre proportionné d’ouvriers à chaque profession : à dix ans, on commence à apprendre un métier ; de quinze à dix-huit, on doit se marier ; de vingt à vingt-cinq, on travaille à l’agriculture, par laquelle tout le monde doit passer ; à vingt-six ans, on entre dans une profession spéciale ; mais on ne peut être maître qu’à trente ans ; à quarante, le choix du travail

  1. Poème en prose, 1753. — Un autre écrivain du XVIIIe siècle, Pechméja, dans un poème analogue imité de Télémaque, le Télèphe (1784), combattit également la propriété et l’héritage. La Biographie universelle (art. Morelly) se trompe en considérant la Basiliade comme une imitation du Télèphe, qui a paru quarante ans plus tard.