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qu’entrevoir, de cette Grèce dont la lumière le ravit et dont le soleil le foudroya[1].

Toutes ces connaissances acquises, toutes ces émotions éprouvées devaient, espérait-il, lui fournir les lignes et les couleurs du large tableau où il voulait faire entrer toute l’histoire de la Grèce ancienne, évoquer le monde grec et le mettre sous les yeux des modernes dans l’indivisible unité de sa vie sociale et politique, de ses créations artistiques et littéraires. En le frappant à quarante-deux ans, la mort a mis à néant ces beaux projets ; cette grande peinture, qui aurait été peut-être une des œuvres capitales de notre siècle, ne fut jamais exécutée ; mais tout au moins avons-nous les esquisses et les cartons du maître. Pendant qu’il recueillait les matériaux du livre qui, dans sa pensée, devait être l’honneur de son âge mûr et son principal titre de gloire, il ne s’était pas enfermé, comme auraient pu le faire des esprits moins féconds, dans de muettes et solitaires méditations. Sa facilité de rédaction était prodigieuse ; tout ce qu’il apprenait, tout ce qu’il croyait avoir trouvé de neuf, il se hâtait de le communiquer, par la parole aux auditeurs qui se pressaient à Goettingue autour de sa chaire, par la plume aux lecteurs de tous ces recueils périodiques dont il était un des plus actifs collaborateurs. Comme un homme qui voyage beaucoup et qui aime à raconter ce qu’il a vu, de chaque étude nouvelle où il s’engageait il rapportait quelque chose au public. Le plus souvent c’était un de ces articles, un de ces mémoires, toujours pleins de faits et d’idées, qu’il écrivait tantôt en allemand, tantôt en latin ; dans ces dernières années on a pu former cinq volumes rien qu’avec ceux de ces petits écrits qui traitent de l’archéologie et de l’histoire de l’art[2]. Parfois aussi c’était tout un livre ; c’étaient des éditions savantes, comme celles qu’il a données de Varron, de Festus, des Euménides d’Eschyle ; c’étaient, sous le titre de l’Histoire des tribus et des cités grecques, de grands récits, pierres d’attente de l’édifice qu’il se proposait d’élever plus tard ; on eut ainsi d’abord Orchomène et les Minyéns, puis le plus célèbre peut-être et le plus discuté de ses écrits, les Doriens, enfin les Étrusques, un essai dont l’idée lui avait été suggérée par un programme de l’Académie de Berlin. C’étaient les Prolégomènes à une mythologie scientifique, œuvre dont les erreurs mêmes ont été fécondes ; puis cette Histoire de la littérature grecque qui, tout inachevée qu’elle soit, n’a pas

  1. Pour bien connaître Ottfried Muller et comprendre ce que l’on a perdu à sa mort, il faut lire l’étude si complote que lui a consacrée M. Karl Hillebrand, en tête de sa traduction de l’Histoire de la littérature grecque jusqu’à Alexandre le Grand. À la fin de cette notice, on trouvera une liste aussi complète que possible de tous les écrits d’Ottfried Muller.
  2. Kunstarchœologische Werke ; Berlin, Calvary, 1873.