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anciens voyageurs ; Ker Porter, Texier, Flandin, en rapportaient d’exacts relevés et des descriptions précises. Grâce aux copies qu’ils avaient prises des textes gravés sur les parois de ces édifices, sur les rochers de la Perse et de la Médie, l’alphabet dont s’étaient servis les Darius et les Xerxès livrait tout entier son secret à la sagacité d’un Eugène Burnouf.

Dès lors, après que voyageurs, artistes et savans eurent ainsi travaillé de concert à reconnaître le terrain depuis les montagnes de l’Arménie jusqu’aux plages basses et marécageuses de la Susiane, quand les philologues eurent traduit les textes et que les musées eurent classé les monumens rapportés de si loin, on put définir par ses caractères essentiels et ses traits originaux la grande civilisation qui s’était développée dans l’Asie antérieure, dans le bassin du Golfe-Persique. Bien des détails échappaient encore ; mais, à travers des ombres qui s’éclairaient de jour en jour et que l’œil s’habituait à percer, on entrevoyait du moins les grandes masses et les lignes dominantes. Dans cette vaste étendue de pays et dans cette succession d’empires, on distinguait des diversités locales qui tenaient au siècle, à la race, au milieu ; mais, malgré ces différences, le choix et l’emploi des moyens d’expression présentaient, de Babylone à Ninive et de Ninive à Suse ou à Persépolis, des ressemblances trop frappantes pour que l’on ne se crût pas en droit d’affirmer que les peuples représentés par ces capitales fameuses ont puisé à une même source. Chez tous, les élémens de l’écriture et ceux de l’art sont les mêmes. Dans l’alphabet, malgré la variété des langues dont il fallut noter les sons, le principe, c’est toujours le clou, débris des signes complexes d’une ancienne écriture idéographique. Dans la plastique, si les plans des édifices changent avec les matériaux dont disposent les constructeurs, partout le statuaire a la même manière de sentir et d’accuser la forme vivante ; partout on retrouve, à quelques nuances près, les mêmes conventions et les mêmes partis-pris. Dans tous les ouvrages façonnés de main d’homme que l’on recueillait à l’intérieur des frontières que nous avons indiquées, on reconnaissait les traditions d’un même style, l’unité d’inspiration, la communauté d’origine.

Au terme de ces recherches et de ces découvertes, on distinguait donc deux foyers primitifs, l’un qui s’est allumé à la première aube des siècles historiques, dans la vallée du Nil, l’autre, dont la flamme naissante a commencé, selon toute apparence, par briller en Chaldée, dans des temps bien reculés, quoique déjà plus voisins de nous que ceux où Menés ouvre la série des souverains de l’Égypte. Ces deux foyers avaient de bonne heure, par l’intermédiaire des Phéniciens, croisé pour ainsi dire leurs feux ; à travers la Syrie, il s’était fait, entre ces deux régions, entre leurs centres