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beaucoup de fermeté, de bravoure et des aptitudes militaires remarquables. C’est grâce à eus que le passage de Schipka n’a pas été repris par les Turcs. L’instruction est répandue et recherchée, même dans les campagnes. Bons chaque village, on trouve une école entretenue aux frais des habitans.

Il n’y a qu’une voix pour reconnaître les progrès extraordinaires qu’ils ont accomplis en ces dernières années. Dans leurs villes, on rencontre déjà une classe moyenne qui s’instruit, qui s’enrichit, qui s’adonne au commerce, qui se bâtit de bonnes maisons. Délivrez-les du joug turc, — j’entends par là de l’impôt, des exactions et du désordre d’un gouvernement aux abois, — et avant vingt ans la Bulgarie sera plus avancée que la Roumanie. Elle a en effet sur celle-ci un grand avantage. La propriété y est encore plus divisée qu’en France, et en général ceux qui cultivent la terre la possèdent. Comme le remarque le marquis de Bath, il n’y a pas ici d’aristocratie vivant dans l’oisiveté, dépensant à l’étranger les revenus du pays et rapportant en échange les vices et les prodigalités de l’Occident. Le régime social est si essentiellement démocratique et égalitaire qu’il n’existe dans la langue bulgare aucun mot pour désigner une supériorité de rang. Il n’y a aucune trace de féodalité, ni aucun des amers souvenirs qu’elle a laissés dans le peuple, là même où elle a disparu. On ne rencontre pas non plus ici, comme en Bosnie ou ailleurs, une caste propriétaire vivant de redevances arrachées aux cultivateurs. Il n’y a donc nulle hostilité de classes, et les conflits agraires ne sont pas à craindre, bonheur inappréciable et garantie certaine d’un progrès pacifique et régulier.

Mais, objectera-t-on, ces populations sont-elles mûres pour se gouverner elles-mêmes ? Le docteur Rieger, l’éminent interprète et chef du mouvement tchèque, disait récemment au Reichsrath de Vienne un mot profond à ce sujet : « Tous les peuples sont mûrs pour la liberté ; seulement il faut que les libertés soient en rapport avec leur degré de culture, avec leurs conditions sociales et leurs nécessités spéciales. » Les Bulgares comme les Serbes sont habitués, depuis un temps immémorial, à une autonomie locale complète, car, ainsi que le dit lord Bath, les Turcs les dédaignaient trop pour les empêcher de régler leurs affaires comme ils l’entendaient, dans leurs villages et dans leurs communautés de famille. Ces libertés locales existent ici aussi complètes qu’en Suisse ; il suffit donc de les respecter et, ainsi que le propose sir George Campbell, il convient d’en faire la base de tout l’édifice politique. Il faut prendre pour modèle, non la centralisation française ou prussienne, mais la décentralisation suisse ou américaine. Que les principes du fédéralisme dominent toute l’organisation. Maintenez la