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soustraites à la domination de la Porte seront fortes, moins elles seront disposées à échanger leurs libertés et leur indépendance pour le régime autocratique que leur apporterait l’annexion à l’empire russe. Voyez l’énergique résistance opposée par la Roumanie à la rétrocession du coin de la Bessarabie. Demandez aux Serbes et aux Roumains s’ils veulent devenir les sujets du tsar. À ce point de vue, le traité de Berlin ne vaut pas le traité de San-Stefano, et le prétendu triomphe de lord Beaconsfield était une grande faute, au point de vue des vrais intérêts et de l’humanité et de l’Angleterre. Le ministre anglais a agi à Berlin contrairement au but qu’il poursuivait. Il pouvait faire une grande Bulgarie capable de se défendre et par conséquent de se passer du secours des Russes. En coupant la Bulgarie en trois, — une partie étant affranchie, l’autre à moitié autonome, la troisième restant asservie, — il a créé une nouvelle source de difficultés et justifié d’avance une nouvelle intervention russe.

Si l’on examine la carte ethnographique de la Turquie de Kiepert qui a servi de base aux décisions du congrès de Berlin, on voit que les Bulgares occupent le corps même de la Péninsule, c’est-à-dire le territoire borné au nord par le Danube jusqu’à Widin, à l’ouest par une ligne partant du Timok et touchant Nissa, Vrana, Uskub, Monastir jusqu’au lac de Kastoria, au sud par une ligne courbe dont les principaux points sont Bogotzico, Ostrovo, Salonique, Demirhissar, Hirmanly, Tchirmen, Binar, et enfin à l’ouest la Mer-Noire, sauf que, jusqu’à Varna, l’élément grec domine le long de la côte. Les Albanais occupent à l’est de l’Adriatique le territoire montagneux qui s’étend depuis Antivari et Podgoriza, aux frontières du Monténégro, jusqu’à Valona et Argiro-Castro au midi ; vers l’intérieur, il touche aux Bulgares le long des monts Grammos, Vitzi et Tchardagh jusqu’à Pristina et Vusitrin, qui sont déjà serbes. L’élément hellénique domine le long de la mer Egée, sur une épaisseur qui varie de 25 à 50 kilomètres, et en Épire, au sud de la frontière précédemment indiquée des Albanais et des Bulgares. Le traité de San-Stefano avait affranchi tout le pays bulgare, comptant près de 6 millions d’habitats, dont plus de 4 millions de race slave, On aurait pu former ainsi une principauté douée d’une force suffisante pour se défendre et, qui grâce à ses ressources naturelles, pouvait aspirer à devenir un petit état indépendant et prospère.

Le traité de Berlin, au contraire, a coupé la Bulgarie en trois parties, à qui elle a fait un sort différent, sans aucune raison appréciable. La partie de la Bulgarie située au nord des Balkans, avec 2,500,000 habitans, a été affranchie ; une autre partie, sous le nom de Roumélie orientale, avec 1,000,000 d’habitans, a reçu une certaine autonomie administrative sous la suzeraineté de la Porte ;