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grande entre les peuples de race différente, n’est-il pas naturel que les populations de même sang et de même origine cherchent à s’unir d’une façon ou d’une autre ? Elles y sont poussées et par la communauté de la langue, dont la littérature exalte l’importance, et par le besoin de se défendre contre les autres unités ethnographiques qui se constituent à côté d’elles. La panslavisme n’est donc pas1 une chimère, comme on le prétend souvent. C’est déjà aujourd’hui le rêve des vrais patriotes russes comme Kattof ou Aksakof et comme O. K. elle-même, et ce rêve, il est probable qu’il se réalisera un jour. L’unité de l’Italie a préparé l’unité de l’Allemagne, et l’unité germanique provoquera tôt ou tard la formation de l’unité panslave.

Comme le dit très bien O. K., il y a deux Russies. La Russie de Saint-Pétersbourg, officielle, cosmopolite, sceptique, qui s’en tient aux réalités d’aujourd’hui : c’est celle-là que l’Europe et surtout la diplomatie connaissent seule. Et il y a la Russie de Moscou, l’antique capitale, où le sentiment national est intense, la foi dans les grandes destinées du pays absolue et l’enthousiasme pour la cause slave sans bornes. C’est la Russie de Moscou qui a voulu la dernière guerre et qui l’a imposée à Saint-Pétersbourg, et certainement cette Russie-là est panslaviste. Kinglake, au début de son livre sur la guerre de Crimée, remarque que la politique russe en Orient a été presque toujours hésitante et pleine de contradictions. Napoléon Ier, au commencement du siècle, disait déjà en parlant du tzar : « Ils ont trop menacé Constantinople pour oser la prendre. » Ces hésitations et ces contradictions s’expliquent. La froide raison et Saint-Pétersbourg disent ! Non ; mais l’enthousiasme, la foi en l’avenir et Moscou disent : Oui. Si l’histoire nous montre qu’à différentes reprises, la politique russe a eu la sagesse de repousser l’occasion qui semblait s’offrir, elle nous fait voir aussi qu’en d’autres momens les souverains russes ne résistaient pas à la tentation. L’attraction du sud a agi de bonne heure sur les maîtres des froides et uniformes étendues de la plaine sarmate.

Dès le IXe siècle, les deux princes varègues Askold et Dir conduisent jusque devant Byzance leur flotte qu’une tempête engloutit sur la Mer-Noire. En 907, Oleg, avec deux mille vaisseaux, investit Constantinople, Czargrad, « la ville impériale » et force l’empereur grec à lui payer tribut. Comme affirmation de ses victoires, il suspend son bouclier à la Porte d’Or. Son successeur Igor revient à la charge ; mais sa flottille est détruite par le feu grégeois. Enfin en 944, la menace d’une nouvelle invasion force Byzance à payer un tribut et à signer un traité de commerce. Bientôt l’empereur Jean Zimiscès, menacé par la Bulgarie, qui était alors un état indépendant, appelle les Russes à son secours. Sviatoslaf, avec une