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province, le Northern Echo, et dans ces articles, parlant au nom du patriotisme russe le plus exalté, elle attaque la politique anglaise, en face et à visière levée, en Angleterre même. Naturellement elle réserve ses dards les plus acérés pour lord Beaconsfield, mais elle ne ménage même pas les libéraux et leur illustre chef, M. Gladstone, quoiqu’il soit de ses amis. « Si vous, lui dit-elle, qui avez défendu la cause des Slaves en Turquie, vous rougissez d’être accusé d’avoir quelques sympathies russes, que ne devons-nous pas craindre de l’hostilité de l’Angleterre ? Et cependant, quelle raison sérieuse y a-t-il pour nous détester et nous faire la guerre ? La vraie alliance, la seule profitable pour nous et pour vous, c’est l’alliance anglo-russe, car en Asie nous sommes seuls face à face et là nous pouvons un jour faire beaucoup de mal et aux autres et à nous-mêmes. » Elle reproche à M. Gladstone de ne pas avoir protesté quand la Bulgarie occidentale, violemment détachée de l’unité ethnographique, a été restituée à la Turquie, quoiqu’en 1876 il se fût écrié : « Si jamais l’Europe permet le rétablissement de l’autorité turque en Bulgarie après les horreurs qui s’y sont commises, il faudra désormais qualifier de crime toute protestation qui aura été faite contre un des gouvernemens les plus intolérablement mauvais, et toute condamnation prononcée contre une révoltante tyrannie. »

O. K. ne fait pas de la diplomatie ; elle n’adoucit pas sa voix ; elle ne dissimule pas sa pensée. Russophile ardente comme Katkof et Aksakof, elle s’en prend même à ses compatriotes qui trahissent la cause sainte à laquelle elle s’est dévouée. Après le traité de Berlin, elle accuse de faiblesse et de lâcheté les diplomates de Saint-Pétersbourg qui restituent aux Turcs la moitié de la péninsule des Balkans, presque entièrement affranchie à San-Stefano. Son langage est même si vif que son volume a été interdit en Russie, ce qui prouve, soit dit en passant, qu’il n’a pas été écrit sous la dictée du prince Gortchakof, comme on l’a prétendu. Mesure étrange et singulièrement aveugle, car jamais la politique russe n’a été exposée et défendue avec plus d’esprit, plus de verve et par des argumens mieux choisis pour y rallier les libéraux en Occident. Comme le remarque très justement M. Gladstone, le mérite du livre, c’est qu’il dit nettement et fortement ce qu’il veut dire, mérite rare dans tout ce qui sort des plumes russes, car elles aiment d’ordinaire les sourdines, les demi-teintes et les demi-mots, comme les gens qui craignent d’en trop dire.

Mais quel est donc l’écrivain qui se dérobe sous ces deux initiales O. K. ? Un article que publiait récemment le Quarlerly et qu’on attribue, — j’ignore si c’est avec raison, — à lord Salisbury, donne à ce sujet quelques détails qui ne manquent point d’intérêt.