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L'ANGLETERRE ET LA RUSSIE
EN ORIENT

I. Russia and England, 1876-1880, by O. K. — II. A Recent View of Turkey, by sir George Campbell ; Londres, 1880.


I

En 1861 et 1862, Saint-Marc Girardin publiait ici même une série d’études qu’on ne peut relire aujourd’hui sans en admirer la merveilleuse clairvoyance. La solution de la question d’Orient qu’il indique est, à la lettre et jusque dans le détail, celle que la force des choses va imposer à l’Europe. La guerre de Crimée, l’énergie militaire déployée par les Turcs dans la défense des places fortes du Danube, le traité de Paris de 1856 et les promesses de réformes faites par le sultan, avaient fait croire un moment que « l’homme malade » allait se relever. Mais bientôt étaient survenus les massacres du Liban. Pour sauver les chrétiens de Syrie, la France avait été autorisée par l’Europe à y envoyer un corps de troupes qui n’avait pas tardé à rétablir l’ordre. Seulement lord Palmerston, en véritable Anglais de l’ancien régime, était jaloux du rôle joué par la France en Orient. Il voulait à tout prix que l’empereur Napoléon rappelât ses soldats. Il soutenait que le sultan était assez fort pour protéger tous ses sujets, qu’il fallait respecter l’indépendance de la Turquie et que d’ailleurs « aucun état européen n’avait fait depuis vingt ans de plus grands progrès dans la civilisation » C’est alors que Saint Marc Girardin prend la plume. L’histoire à la main, il montre que la décadence de l’empire ottoman est un fait continu, qui doit donc tenir à des causes profondes, irrémédiables. S’armant des rapports mêmes des consuls anglais en Orient, communiqués pour ainsi dire confidentiellement aux seuls membres du Parlement, il trace de la situation des provinces