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de l’autre. Un gouvernement régulier peut prendre des mesures qui soient socialistes, et un gouvernement révolutionnaire. des mesures qui ne le soient pas. La taxe des pauvres en Angleterre est une institution socialiste, non révolutionnaire ; la loi des suspects était une loi révolutionnaire et non socialiste.

Les termes de la question ainsi expliqués, nous croyons que les faits démontrent que le socialisme, pendant la révolution française, n’a existé qu’à l’état diffus et, comme on dirait aujourd’hui, sporadique, mais qu’il ne s’est point condensé ni concentré dans une doctrine ni dans un parti, si ce n’est sous le directoire, lors du complot de Baibeuf, que nous étudierons séparément. Ce sont donc des traces éparses, des faits individuels qu’il faut recueillir et rapprocher pour reconstituer ce que l’on peut appeler le socialisme révolutionnaire[1] ; car nous n’admettons, ni avec les ennemis, ni avec les amis passionnés du gouvernement de 1793, que ce gouvernement ait été socialiste dans le sens nouveau du mot. C’était une démocratie radicale, allant jusqu’à l’ochlocratie ; mais il n’a pas eu pour but ni même pour intention de toucher à l’ordre de la propriété. Les lois du maximum, les lois contre les accaparemens, étaient de vieilles machines gouvernementales dont on avait souvent usé, comme l’a montré M. de Tocqueville ; mais ce n’étaient pas plus des mesures socialistes que les droits prohibitifs ou protecteurs et que les lois sur l’intérêt légal de l’argent. Il ne faut pas tout confondre.

Les faits qu’il s’agit de rassembler étant si complexes, si fugitifs, si dispersés, nous sommes obligé d’y apporter un certain ordre et de les classer dans des cadres un peu arbitraires, qui n’ont d’autre but que de présenter séparément des faits connexes très compliqués. C’est ainsi que nous distinguerons un socialisme franc-maçonnique, un socialisme anarchique, et un socialisme doctrinaire ; et ce dernier se présentera sous deux formes, l’une purement utopique, l’autre politique : celui-ci seulement se rapprochera quelque peu de la doctrine que MM. Bûchez et Louis Blanc ont prêtée aux hommes de 93 ; mais nous verrons aussi à combien peu de chose il se réduit.

  1. Sur cette question, on pourra consulter : le Socialisme pendant la révolution française, par M. Amédée Le Faure ; ouvrage qui contient un assez grand nombre de pièces inédites, curieuses, mais où l’élément socialiste est constamment confondu avec l’élément révolutionnaire ; l’Histoire du luxe, par M. Baudrillart, dont le chapitre sur le luxe pendant la révolution a été publié par la Revue, et en général toutes les histoires de la révolution française, notamment l’Histoire parlementaire de Buchez, enfin tous les documens du temps, particulièrement les journaux.