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qu’ils pussent opposer à Canning dans la chambre des communes, car Brougham péchait par défaut de mesure. Dans la chambre, haute, leur chef, lord Grey, malgré son caractère respectable, ne pouvait prétendre à former une majorité. Le nombre était toujours du côté des tories ; les élections les plus récentes continuaient à leur donner l’avantage. Le pouvoir leur appartenait encore ; toute la question était de savoir si les libéraux ou les rétrogrades seraient chargés de former le nouveau ministère.

Ce ne fut pas longtemps douteux. Canning avait seul assez d’ascendant sur les communes pour être premier ministre. Le roi hésitait, tergiversait ; il promettait à ses intimes que la nouvelle administration serait protestante, c’est-à-dire qu’il ne s’y trouverait aucun partisan de l’émancipation des catholiques. Lord Wellington et Robert Peel furent appelés l’un après l’autre ; c’étaient tous deux des hommes de bon jugement ; ils refusèrent d’essayer même la formation d’un ministère à leur image. Il fut donc évident, au bout de quelques jours, que Canning était le premier ministre indispensable ; mais à peine eut-il été chargé par le roi de composer le cabinet que la dislocation du parti tory devint manifeste. Peel se tint à l’écart à cause de la question religieuse, — il devait réaliser lui-même un peu plus tard l’affranchissement que Canning ne faisait que promettre ; Wellington se démit du commandement de l’armée qui lui donnait un siège dans le cabinet, parce que la politique étrangère suivie en ces derniers temps ne lui présageait rien de bon ; lord Eldon était accablé par l’âge, fatigué des luttes parlementaires et des soucis de la vie publique ; il voulut se retirer. Les ministres secondaires suivirent presque tous les chefs du parti. Le cabinet anglais se compose de huit à douze personnages qu’il est déjà malaisé de réunir dans une pensée commune ; mais l’administration politique, sujette aux fluctuations du jour, comprend en outre autant d’emplois secondaires pour lesquels le premier ministre est obligé de trouver des titulaires parmi ses amis de l’une ou de l’autre chambre du parlement. Canning, abandonné par les tories, ne pouvait que se rejeter du côté des whigs ; mais ceux-ci n’étaient pas moins divisés. Lord Lansdowne, lord Holland et Brougham promettaient de le soutenir ; lord Grey et lord Althorp, qui commençait à se distinguer, se défiaient de lui. Les plus confians lui demandaient de souscrire à des conditions qu’il jugeait excessives et que, les eût-il accordées, le roi n’eût pas ratifiées. Il irrita les tories qui perdaient le pouvoir après en avoir joui pendant vingt ans ; il ne réussit cependant qu’à former un ministère peu consistant. Il est douteux que cette administration de transition, inaugurée sous de fâcheux auspices, eût vécu longtemps ; elle fut brisée par la mort inopinée de son chef. Canning succomba