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voulaient pas admettre les restrictions ; par les tories exaltés, qui se disaient convaincus que l’Église établie ne survivrait pas à la perte de ses privilèges. Par les mêmes motifs, il convenait aux opinions moyennes qui dominaient dans la chambre des communes. Après un mois de débats et d’ajournemens, cette assemblée le vota par une majorité de 23 voix. Le nombre n’était pas seulement significatif. On remarquait, parmi ceux qui lui avaient été favorables, tous les hommes éminens de la chambre, soit dans le parti ministériel, soit dans l’opposition, Castlereagh et Canning, Palmerston et Robinson, Wilberforce, Brougham, Mackintosh : il y avait une exception, Robert Peel.

Les protestans n’avaient plus d’espoir que dans les lords et ensuite dans le roi, sur qui toutefois ils ne comptaient qu’à moitié. En passant de l’une à l’autre des chambres du parlement, le bill d’émancipation perdait beaucoup, il est vrai. Du côté des communes, il avait été soutenu par les membres du gouvernement ; du côté des lords, il allait être combattu par Liverpool, Eldon, Sidmouth, Wellington. Ce ne fut point du banc des ministres que vint la plus vigoureuse attaque. Dès l’ouverture du débat, le duc d’York, l’aîné des frères du roi, prit la parole : « Je suis convaincu, dit-il, du danger d’une pareille mesure ; mon opposition prend sa source dans les principes que j’ai acceptés depuis que j’ai conscience de moi-même et que je chérirai, je l’espère, jusqu’au dernier jour de ma vie. » Ce discours, dans la bouche de l’héritier présomptif du trône, rallia tous les membres indécis du parti conservateur. Le projet fut repoussé par une majorité de 39 voix sur 279 votans, le 18 avril 1821.

Bien que les partisans de l’émancipation n’osassent pas renouveler leur proposition pendant les sessions de 1822 et de 1823, cette question latente pesait d’un grand poids sur l’ensemble de la politique. La divergence entre les membres du ministère sur une affaire de cette importance était surtout une cause incessante de discordes dans le cabinet, une occasion d’aigres disputes devant la chambre des communes. « Le gouvernement est comme un clavecin, dit un jour Brougham, dont les touches sont alternativement blanches et noires. » À quoi Canning répliquait en invoquant l’impossibilité de former un cabinet qui fût unanime sur le sujet auquel on faisait allusion. Brougham était vif, emporté ; on eût été tenté de croire parfois que l’éducation première lui manquait. Deux jours après, il s’oublia jusqu’à dire que la présence de Canning dans un cabinet divisé était la plus monstrueuse bassesse que l’on eût jamais vue dans l’histoire des tergiversations politiques. Sans attendre que Brougham eût fini sa phrase, Canning s’écria que c’était un mensonge. Il y eut, on le pense bien, un grand émoi dans l’assemblée. Après