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tutionnels que l’on a coutume d’alléguer, pour retarder d’année en année l’organisation définitive de l’Alsace-Lorraine et pour ne rien faire non plus qui puisse faciliter le retour des optans. Le danger d’un dépècement, qu’il n’est plus permis, depuis la déclaration du chancelier, de tenir pour chimérique, n’échappera pas, il faut le souhaiter, à la perspicacité du Landesausschuss et l’invite à ne point se laisser emporter par une fougue trop juvénile. Déjà la presse officieuse a émis l’opinion que l’espèce de souveraineté à laquelle prétend cette assemblée constitue un péril qui serait évité si le Landesausschuss était fondu dans le Landtag prussien. Tout cela mérite réflexion. Les faits récens qui se sont passés à Berlin lui montrent l’inconvénient qu’il y a de provoquer, même sur le terrain légal, la mauvaise humeur du chancelier et avec quel art M. de Bismarck se sert de préférence de ce qui lui fait obstacle pour arriver à la réalisation de ses plans. Que signifie ce complet détachement qu’il affecte tout à coup à l’égard des affaires de l’Alsace-Lorraine, qui encore il y a peu de mois, reposaient toutes entières sur ses épaules et qu’il avait lui-même déclaré prendre résolûment en main, comme « avocat des populations annexées ? » L’histoire de la politique allemande des dix derniers années enseigne que c’est toujours mauvais signe quand M. de Bismarck semble se désintéresser d’une question comme celle-ci ; c’est l’indice que la mise en scène est réglée et que le régisseur a terminé sa tâche.

Aussi est-il du plus haut intérêt pour l’Alsace-Lorraine que ses représentans ne se laissent pas entraîner par leur importance nouvelle à fournir quelque prétexte contre le maintien de l’état de choses actuel, car, du côté de l’Allemagne, il ne pourrait que lui advenir pis. Les difficultés que l’administration allemande rencontre dans son propre sein et qui proviennent surtout de l’impossibilité où elle est de concilier ses principes de gouvernement avec les sentimens et les intérêts des populations conquises, ne prêtent déjà que trop au danger permanent de quelque modification inattendue et subite dont l’Alsace-Lorraine pâtirait à coup sûr. Au dualisme qui, du temps de M. de Mœller, existait entre Berlin et Strasbourg, a succédé maintenant, à Strasbourg même, un dualisme d’un autre genre, entre M. de Manteuffel, lieutenant impérial, et M. Herzog, ministre d’état. Dès le début, il en est résulté des froissemens qu’on a d’abord essayé de nier et qui sont pourtant bien réels, qui même étaient inévitables. M. de Manteuffel a pris son rôle de conciliateur au sérieux et il l’a tout de suite prouvé en se montrant plus tolérant que son prédécesseur à l’égard de la presse et du clergé catholique. Il s’est réservé le gouvernement des hommes, tandis que M. Herzog et ses collaborateurs prétendent n’abandonner que le moins possible de l’administration des affaires, comme si les hommes se pouvaient