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charge ; plus tard, les services se multipliant et se compliquant ont dû être scindés, sans toutefois que jamais ait été rompu et moins encore coupé le lien qui unit étroitement l’une à l’autre les deux institutions, dans ce pays de stricte tradition, où tout bon fonctionnaire doit avoir été sous-officier un instant au moins dans sa vie, ne fût-ce que pour apprendre, au maniement des recrues, l’art tout prussien d’être raide et cassant, — stramm und rücksichtslos, — dans le gouvernement des hommes. À vrai dire, l’administration prussienne n’est autre chose qu’une milice qui ne diffère de l’armée que par la couleur des passepoils d’uniforme. Dans cette milice on admet bien à servir en sous-ordre, et dans une mesure prudemment calculée, des mercenaires fournis par les diverses peuplades assujetties, mais il est de principe rigoureux que les chefs qui en composent, à divers degrés, les cadres soient tous de provenance prussienne, surtout dans les services dont le personnel est appelé à entrer en contact immédiat et direct avec les populations. — De même qu’après Sadowa la Prusse envoya en profusion dans l’Allemagne du Sud des officiers chargés de façonner les troupes de ses nouvelles alliées, de même, lors de l’organisation première de l’administration allemande en Alsace-Lorraine, toutes les places de chefs de service furent attribuées à des sujets prussiens ; on ne fit d’exception que pour le service des douanes, dont les agens, par la nature de leurs fonctions, ne peuvent exercer sur les populations qu’une médiocre influence, mais sont exposés, en revanche, à récolter beaucoup d’impopularité : double raison pour en faire des places excellentes à offrir aux « confédérés. » — Il en a été à peu près de même dans la réorganisation récente, qui a installé en Alsace-Lorraine les rouages ministériels et qu’on a essayé de faire passer pour la consécration de l’autonomie administrative. La Prusse a eu grand soin de réserver à ses nationaux la direction des services relatifs à l’administration proprement dite et à la justice, tandis qu’elle a libéralement abandonné à un ministre d’origine bavaroise le soin de remettre, s’il se peut, un peu d’ordre et d’économie dans les finances si malades du pays, et qu’elle a demandé aux Alsaciens, qui n’en ont eu souci, de découvrir parmi eux quelqu’un qui voulût se charger du relèvement de l’industrie, du commerce et de l’agriculture, que le régime allemand a si promptement mis en si piteux état. La mission était vraiment trop ingrate et trop désespérée pour tenter personne, et l’ensemble même de la réorganisation se présentait sous un jour trop peu « autonome » pour inspirer aux Alsaciens-Lorrains l’envie d’y apporter, à quelque titre que ce fût, le concours de leur collaboration. D’ailleurs, l’eussent-ils voulu, les mesures étaient prises à l’avance pour empêcher de leur part tout envahissement dange-