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fils dans sa carrière agrandie, après avoir toujours vécu auprès de lui, allait s’éteindre à Londres, au lendemain du naufrage de 1868.

C’est à cette mère que M. Guizot faisait la confidence de ses premiers projets d’avenir, de ses premières ambitions, de même que, plus tard, c’est auprès d’elle qu’il trouvait un dévoûment passionné, souvent des conseils utiles. « Je crois la voir encore, a dit Sainte-Beuve, dans cette mise antique et simple, avec cette physionomie forte et profonde, tendrement austère, qui me rappelait celle des mères de Port-Royal… Je crois là voir encore dans le salon du ministre, où elle ne faisait que passer… » Mme Guizot représentait la gravité affectueuse et simple dans ce foyer où se mêlaient les joies et les deuils vivement ressentis. En peu d’années, M. Guizot avait perdu successivement les deux personnes de mérite qui s’étaient associées à sa vie, Mlle Pauline de Meulan et une de ses nièces ; il avait perdu un premier fils mort dans l’éclat de sa jeunesse. L’aiguillon de la douleur lui arrachait parfois des accens pathétiques ; il ne se consolait qu’à la vue des enfans qui lui restaient, qu’il entourait de ses affections. Dans les jours les plus occupés de son ministère, il trouvait le moyen de passer quelques momens auprès d’eux, auprès de sa mère. Quand les enfans étaient loin, il leur écrivait ; il leur disait : « Je ne vous ai pas là pour aller cinq ou six fois par jour me délasser, me rafraîchir en vous voyant. C’est avec vous que j’oublie ma vie de travail et de lutte. Il me semble en entrant chez vous que je laisse mon fardeau à la porte… » Parfois à ses témoignages de tendresse paternelle il mêlait des leçons plus graves. Pendant son ambassade à Londres, il racontait à une de ses filles une séance de la chambre des communes où l’on avait discuté sur l’Irlande et il ajoutait : « Prends toujours de l’intérêt à l’Irlande, mon enfant. Ta mère lui en portait beaucoup comme à l’ancienne patrie de sa famille… Il y a cent cinquante ans que la famille de ton grand-père quitta l’Angleterre à la suite de Jacques II. Ils fuyaient l’Angleterre parce qu’ils étaient catholiques. Presque au même moment, les protestans fuyaient aussi la France. Aujourd’hui c’est un protestant qui représente la France à Londres, et ly trouve des catholiques puissans dans cette même chambre des communes qui les chassait il y a cent cinquante ans. Tout cela, ma chère fille, c’est le fruit d’une raison plus éclairée, d’une religion mieux comprise… » Au plus fort de ses luttes, M. Guizot se plaisait à cultiver ces jeunes esprits, à se créer par intervalles quelques jours de liberté qu’il allait passer au Val-Richer, dans cette campagne dont il s’était fait un paisible et aimable asile.

Retiré de tout dès 1848, M. Guizot n’avait plus cherché à reparaître sur la scène. Il était resté l’homme de la famille et de la pensée libre, du travail assidu, dans une retraite animée par l’affection, noblement occupée par l’étude. Il ne se désintéressait d’ailleurs ni de son temps