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la discussion publique et, dans le vote définitif, poussera-t-il jusqu’au bout l’opposition qu’il a paru manifester par le choix de ses commissaires ? Reprendra-t-il, sous forme de transaction, l’amendement qui a failli réussir dans la chambre des députés et qui tend à restreindre les effets de l’amnistie en excluant les incendiaires et les voleurs ? Accueillera-t-il une proposition qui aurait pour résultat de laisser au gouvernement l’initiative et la responsabilité de l’amnistie ou des grâces amnistielles qu’il lui plaira d’accorder ? Se bornera-t-il au contraire à sanctionner simplement la loi, par résignation, par des raisons toutes politiques, uniquement pour épargner un échec trop direct au ministère et pour éviter une crise ? Tout est possible : il est clair seulement que l’instinct de l’assemblée est contre l’amnistie. De quelque façon que le sénat se prononce, voilà, dans tous les cas, on en conviendra, une question singulièrement engagée, destinée à une étrange fortune ! On prétend qu’elle est mûre, M. Gambetta dit même dans son élégant langage qu’elle est « pourrie ; » on soutient, qu’il faut en finir, qu’il faut se hâter de la voter dans l’intérêt de l’union du parti républicain, pour ne pas laisser planer les souvenirs de la guerre civile sur les élections prochaines, pour inaugurer d’une manière définitive une ère de « conciliation et d’apaisement. » On prétend tout cela, et la première conséquence de cette proposition qu’on dit si nécessaire, si vivement attendue, si politique, c’est de remettre partout le désarroi, de faire éclater toutes les divergences, de rouvrir des perspectives de conflits entre les deux assemblées, de surprendre, d’inquiéter peut-être la masse laborieuse et paisible du pays, en ne donnant satisfaction qu’aux impatiences irritées, des partisans plus ou moins déguisés de la commune. Non assurément, ce ministère n’est pas heureux : il ne s’est pas douté qu’une mesure qui aurait pu à la rigueur être sans danger, si elle eût été librement accomplie, comme un acte d’autorité et de force, ainsi que le disait autrefois M. le président du conseil n’est qu’un péril de plus dès qu’elle est si visiblement un acte de faiblesse, et de résipiscence.

Ce qu’il y a de plus étrange, et on pourrait dire de plus choquant, c’est cette sorte de coïncidence que le gouvernement n’a pas recherchée, nous le voulons bien, qu’il n’est laissé imposer, entre l’amnistie qu’il propose pour les crimes de la commune et la guerre qu’il engage contre les ordres religieux par l’exécution des décrets du 29 mars. Les deux questions marchent ensemble ; elles occupent simultanément les assemblées ; et tandis que l’autre jour l’amnistie était débattue, et votée dans la chambre des députés, une discussion aussi sérieuse qu’émouvante s’engageait dans le sénat au sujet des rigueurs qui menacent les congrégations religieuses. A parler franchement, le ministère n’est pas plus habile et plus heureux avec ses décrets qu’avec sa proposition d’amnistie, et les récens débats, auxquels ont pris part M. le duc d’Au-