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a de grave est moins dans la rentrée de quelques condamnés que dans la manière dont cette amnistie s’est présentée, dans la signification qu’elle prend par son extension même, dans les calculs qui l’ont inspirée, dans les procédés qui ont été employés pour la mettre au jour. La vérité est, que, telle qu’elle apparaît, cette amnistie, au lieu d’être l’inspiration spontanée et opportune d’une politique supérieure, habilement généreuse, n’est qu’une concession d’imprévoyance et de faiblesse, une cote mal taillée entre les partis et un ministère, et c’est là justement ce qui en fait une œuvre équivoque qui a tant de peine à aller jusqu’au bout. On sent qu’elle est née artificiellement, qu’elle ne répond à rien de sérieux, et que, loin de simplifier la situation, elle peut la laisser compliquée et aggravée de difficultés nouvelles.

Lorsqu’il y a quelques mois, peu après l’avènement du ministère qui existe encore, M. le président du conseil avait à traiter la même question qui se présentait sous la forme d’une proposition individuelle devant la chambre des députés, il prenait le soin de déterminer les conditions qui pourraient rendre un jour une mesure de haute clémence nationale réalisable. Il traçait pour ainsi dire l’idéal de la situation où l’amnistie définitive lui semblerait possible. Il fallait que le calme et l’apaisement fussent complets sur la question, que l’amnistie cessât d’être en dehors des assemblées « un instrument d’agitation, » qu’elle ne fût plus présentée « comme un droit, comme une revendication et surtout comme une réhabilitation ; » il fallait que l’opinion fût préparée à accepter cette grande mesure. Le chef du cabinet ne craignait pas d’ajouter qu’à défaut de ces conditions, une amnistie complète pourrait être considérée, non comme un acte d’autorité supérieure, comme un gage de stabilité, mais « comme le symptôme d’une politique moins prudente et moins ferme. » M. le président du conseil parlait ainsi et il mettait dans sa démonstration une persuasive éloquence qui ralliait une majorité considérable. Que s’est-il donc passé depuis quatre mois qui ait pu modifier les résolutions du gouvernement ! On nous permettra de ne pas prendre au sérieux les images de M. le ministre des affaires étrangères demandant si « les heures de l’histoire se marquent sur une horloge dont les aiguilles ne varient jamais. » C’est trop de modestie de prendre pour modèle les variations des aiguilles d’une horloge, c’est se tirer un peu trop lestement d’affaire.

Au fond, de toutes ces conditions que M. le président du conseil énumérait il y a quelques mois, qu’il considérait comme nécessaires pour la mesure qu’il propose aujourd’hui, quelles sont celles qui se sont si rapidement, si heureusement réalisées ? Est-ce que cet apaisement proclamé indispensable s’est accompli ? il faudrait vraiment une bonne volonté rare pour prétendre que l’amnistie a cessé d’être un moyen d’agitation au moment même où un quartier de Paris livré au radica-