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décrets du 29 mars, ces discussions n’ont servi qu’à mieux préciser, à mieux mettre en lumière les élémens incohérens d’une situation où il n’y aura plus bientôt une issue raisonnable. Sait-on comment elle se caractérise et se délimite réellement, cette situation singulière ? Elle a d’un côté l’amnistie qui a été votée par la chambre des députés, mais qui reste encore en doute devant le sénat, d’un autre côté la guerre aux communautés religieuses, qui va exciter les passions, qui conduira on ne sait où, — et en perspective, le 14 juillet, une journée d’effervescence populaire qui deviendra ce qu’elle pourra, dont on commence dans tous les cas à se préoccuper. Le gouvernement n’a sans doute voulu ni même peut-être prévu ce qui arrive. Le gouvernement que nous avons est pavé de bonnes intentions, c’est bien connu. C’est lui cependant qui a tout fait parce qu’il n’a su avoir à propos ni une opinion décidée, ni une volonté précise, parce qu’il a laissé s’élever ou s’aggraver des questions qu’il aurait pu, avec un peu plus de résolution, dominer ou simplifier. Le gouvernement subit les conséquences de la condition équivoque et subordonnée qu’il s’est créée. Il a bien l’air parfois de ne marcher qu’à contre-cœur, de sentir remuer en lui quelque velléité de résistance : il est aussitôt poussé en avant, il obéit à l’aiguillon qui le presse. Pour avoir cédé hier, il doit céder encore ; il ne s’appartient réellement plus, faute d’avoir accepté au moment décisif les devoirs et la responsabilité d’une politique mûrement réfléchie. Il a proposé l’amnistie parce qu’il s’est cru menacé. Il a fait les décrets du 29 mars parce qu’il a cru désarmer certaines passions et parce que, dans l’intervalle des trois mois qu’il se donnait, il a espéré trouver une solution soit par la soumission volontaire des communautés religieuses, soit par quelque diversion imprévue. L’échéance arrive aujourd’hui, — elle arrive infailliblement un jour ou l’autre pour les politiques d’irrésolution, — et la difficulté pour le gouvernement est de savoir jusqu’où il sera conduit dans la voie où il est entré. Il peut être conduit fort loin justement parce qu’il ne sait pas où il va, parce qu’il ne dispose ni des événemens, ni même de ses propres volontés.

Comment va-t-il maintenant en finir avec cette amnistie dont il a pris assez brusquement l’initiative il y a quelques jours et sur laquelle le sénat a encore à se prononcer ? Certes, on ne peut en disconvenir, lorsqu’une proposition de ce genre se produit sous la forme officielle, par l’initiative d’un gouvernement, la question n’est plus entière ; elle est à demi résolue, tout au moins assez engagée pour ne pouvoir être écartée sommairement, et, tout bien examiné, le mieux serait encore peut-être d’en finir comme on pourra, de façon à ne pas laisser se perpétuer un ennuyeux embarras. Quelques grâces de plus sous le nom d’amnistie ne seront pas un péril pour l’ordre public, c’est vraisemblable ; mais ce n’est pas là évidemment la question, et ce qu’il y