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vraisemblable à mesure que la France se détachera davantage des souvenirs et des traditions monarchiques. »

Les prédictions qu’on peut faire touchant l’avenir que se prépare un peuple en adoptant telle ou telle forme de gouvernement sont toujours incertaines. Il n’y a pas en politique de fatalités que ne puisse conjurer la sagesse ; autrement, à quoi serviraient les hommes d’état ? Toutes les institutions humaines ont leurs avantages ; elles ont aussi leurs inconvéniens, leur vice originel. Elles apportent toutes au monde le germe de la maladie qui les emportera ; mais il ne tient qu’à elles de prolonger presque indéfiniment leur vie par une sage hygiène ou par des remèdes judicieusement appliqués. Quand elles abondent dans leur sens, elles se perdent infailliblement ; quand elles ont la prudence de se modérer, de réagir contre leurs penchans naturels, elles peuvent fournir une longue et glorieuse carrière. Aristote, qui ne manquait pas de bon sens et qui avait un goût prononcé pour les gouvernemens mixtes, jugeait qu’il dépend de tout gouvernement de corriger ses défauts, de modifier son caractère par d’habiles mélanges, par des transactions, par d’heureuses inconséquences. Il remarquait que les aristocraties peuvent se faire pardonner beaucoup de choses en prenant à cœur l’intérêt des petits, en les traitant avec les égards qu’on doit à des parens pauvres, que la tyrannie elle-même réussit à se rendre supportable, lorsqu’elle se donne les apparences d’un régime constitutionnel. Il nous a appris que de toutes les tyrannies grecques celle de Sicyone avait duré le plus longtemps, c’est-à-dire près d’un siècle, parce qu’elle ne foulait pas le peuple et qu’elle lui donnait l’exemple de l’obéissance aux lois. Il appliquait ce raisonnement à la démocratie, il lui recommandait les précautions, la mesure et la tempérance, il lui représentait que « la meilleure constitution démocratique n’est pas la plus démocratique, mais la plus durable. »

Alors même que la démocratie n’écoute pas les conseils d’Aristote et qu’elle s’abandonne avec trop de complaisance à ses inclinations natives, elle n’engendre pas nécessairement la dyspepsie, l’apepsie et l’anarchie ; le comte Arnim avait raison de le dire. Sans doute il y a dans ce monde, en Amérique par exemple, des républiques démocratiques où les dissensions civiles et les conjurations de caserne mettent incessamment en péril l’ordre social ; ces républiques végètent, leur industrie est médiocre, leurs finances sont embarrassées, car les révolutions coûtent toujours très cher. Mais on peut se représenter aussi une nation honnête, travailleuse et riche, qui profiterait des libertés que lui donne la démocratie pour s’enrichir encore ; son commerce fleurirait, ses industries et ses finances seraient prospères, elle exciterait l’envie des autres peuples par la plus-value de ses impôts et de ses revenus, elle se ferait gloire de ses excédons. A côté des républiques