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d’individus furent blessés. ; quelques-uns y périrent Le lendemain matin, la ville était rentrée dans le calme le plus parfait.

Les victimes de cette échauffourée étaient nombreuses ; l’affaire devenait grave. De quel côté était la légalité ? Cette question ne se poserait plus en France. En Angleterre où la grande masse du peuple n’avait alors d’autre ressource que les réunions publiques pour faire connaître son opinion, les avis pouvaient être partagés. Le point capital se réduisait à savoir si les magistrats de Manchester s’étaient vus en face d’un meeting illégal. Le lord-chancelier Eldon, — on a dit plus haut qu’il avait le tempérament autoritaire, — n’hésita point. Suivant lui, le nombre crée la force, la force la terreur, la terreur crée l’illégalité. Un autre conseiller de la couronne, lord Redesdale, le prenait sur un ton moins absolu. Une assemblée qui réclame la réforme électorale, disait-il, menace la constitution anglaise, inspire la haine du gouvernement existant : c’est un acte de haute trahison. On lui répondait avec raison qu’un meeting a toujours eu pour but de protester contre telle ou telle loi en vigueur, fit que par conséquent sa doctrine n’allait pas à moins que la suppression de toutes réunions publiques. Le prince-régent adopta, comme le cabinet, l’avis de lord Eldon ; il adressa des félicitations aux autorités civiles de Manchester ainsi qu’aux officiers de la milice ou de l’armée régulière qui avaient rétabli l’ordre dans une circonstance critique. Mais, réflexion faite, les ministres n’osèrent, en faisant le procès de l’orateur Hunt et de ses acolytes, soumettre au jury la question de légalité. Le juge qui dirigeait les débats eut le bon esprit de ne retenir à la charge des accusés qu’une question défait. Étaient-ils coupables d’avoir tenu tête aux magistrats qui voulaient disperser la réunion ? Le jury ne pouvait donner qu’une réponse affirmative. Hunt fut condamné à deux ans et demi, Wolseley à dix-huit mois de prison ; pour les autres, la peine fut encore moins sévère.

Tout n’était pas fini, puisque ce verdict ne décidait point si les autorités de Manchester avaient eu tort ou raison de faire charger la foule. Des souscriptions s’ouvrirent à Liverpool et à Londres pour secourir les victimes du massacre de Peterloo, comme on disait déjà. Des officiers de la milice de Manchester furent assignés devant les tribunaux en réparation du dommage que leurs soldats avaient causé à des citoyens inoffensifs ; il est vrai que le jury du comté de Lancastre rejeta ces demandes d’indemnité. Les protestations ne furent pas seulement individuelles. Le conseil communal de Londres, réuni en session au mois de septembre, affirma la légalité du meeting de Peterloo en ajoutant que la conduite des magistrats y avait été blâmable et que toute cette affaire était une