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Plus encore par son adresse à profiter des fautes de l’ennemi que par des combinaisons stratégiques auxquelles son esprit froid répugnait, le général anglais s’avança peu à peu de Lisbonne à Toulouse. Cette longue série de belles campagnes l’appelait, au retour de l’île d’Elbe, à commander l’armée des Pays-Bas. Quelle que soit l’opinion des hommes spéciaux sur la bataille de Waterloo, on comprend la reconnaissance de la nation anglaise pour celui qui en était revenu vainqueur. Sir Arthur Wellesley était sorti d’Espagne en 1814 avec le titre de duc de Wellington. Ses compatriotes le considérèrent en 1815 comme un sauveur. Les honneurs ne troublèrent point son jugement. On le verra, dans la suite de ce récit, conserver toujours le même calme, la même présence d’esprit. C’est par l’exercice de ces qualités rares, quoique négatives, qu’il resta, longtemps après les triomphes éphémères du champ de bataille et malgré des tendances réactionnaires qu’il ne dissimulait point, le chef obéi du parti aristocratique, l’adversaire respecté des réformes que les whigs voulaient réaliser.

À la mort de William Pitt, lord Grenville avait été le chef d’un cabinet qui s’intitulait, avec plus de présomption que de vérité, le ministère de tous les talens. Le cabinet qui gouvernait la Grande-Bretagne en 1815 aurait pu prétendre être juste le contraire. Aucun des hommes d’état qui le composaient n’a laissé une réputation d’habileté : aucun ministère ne réussit mieux dans ses entreprises. Ce fut, par une autre anomalie, le plus long ministère que l’on vit jamais en Angleterre, car il dura vingt ans, sauf quelques changemens de personnes, et sous trois chefs différens, le duc de Portland, lord Perceval, lord Liverpool. Ce dernier avait pris la direction des affaires en 1812, par rang d’ancienneté en quelque sorte, — il avait toujours occupé des emplois politiques depuis 1793, sauf un court intervalle, — plutôt que par son mérite personnel. Le cabinet de lord Liverpool ne semblait vivre d’abord que parce que ses adversaires ne se souciaient pas de le remplacer ; les succès de Wellington, la paix de 1815, le consolidèrent.

Le lord-chancelier Eldon avait du moins acquis une légitime réputation dans l’exercice de sa profession. C’était un avocat de médiocre famille et de petite fortune que son talent avait amené sur les bancs de la chambre des communes d’abord, ensuite au plus haut emploi de la magistrature. Bien qu’il fût savant juriste, on lui reprocha toujours d’hésiter à conclure. Il était conservateur par-dessus tout, ennemi de toute réforme. On raconte qu’à son début comme premier juge, il eut l’audace, par un coup de tête auquel on suppose que sa femme l’avait poussé, de solliciter du roi la permission de siéger sans perruque. « Non, non, répondit