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prince de Parme, donna l’ordre au marquis de Leganès, général de la cavalerie, de se mettre à leur poursuite et de les ramener ; mais cet ordre fut exécuté si mollement que Leganès parut vouloir moins prévenir que favoriser cette défection.

L’opinion était divisée en Aragon. Une partie de la noblesse et des ministres du royaume se prononçait chaudement en faveur de don Juan, mais l’autre partie, ayant à sa tête le gouverneur-président, demeurait fidèle à la royauté. La bourgeoisie déclarait également ne vouloir accepter que les ordres du roi. Le président, don Pedro de Urriès, s’empressa de prévenir la cour de Madrid des graves événemens qui se préparaient à Saragosse, mais les dépêches furent interceptées. Mal informé, partagé entre la volonté de réprimer la rébellion et le doute sur ce qui se passait à Madrid, le président se borna à assembler le conseil de gouvernement (las Salas) pour avoir son avis. Trois ministres seulement se montrèrent opposés à don Juan. Dès ce moment la conspiration ne garda plus démesure. Toutes communications furent rompues avec le gouvernement royal et avec l’armée fidèle de Catalogue. Un courrier du prince de Parme, porteur de dépêches, fut arrêté au pont du Gallego et dévalisé. Un laboureur, témoin involontaire de cet acte de violence, fut massacré. Désormais, la cause du prince put paraître gagnée.

La nouvelle de la rébellion arriva enfin dans la capitale de l’Espagne, grossie par l’imagination, par l’intérêt et par la peur. Le bruit se répandit que don Juan s’avançait, non-seulement à la tête d’une armée, mais que la plus grande partie des provinces s’était déclarée en sa faveur. L’attitude de la cour fut aussi misérable que lors du renvoi du père Nithard. On allait voir se renouveler la même tragi-comédie, cette fois seulement un peu plus sérieuse. Le comte d’Aguilar, colonel de la Chamberga, demandait à réunir ses soldats et conseillait la résistance. Une foule dloûlciers réformés accouraient au palais et offraient leurs services. La reine, n’étant pas encore séparée de son fils, pouvait obtenir les ordres nécessaires, et opposer le roi au bâtard. Dans une circonstance analogue, la mère de Louis XIV faisait arrêter le vainqueur de Rocroi par son capitaine des gardes. Marie-Anne d’Autriche ne sut que gémir, se lamenter, et vomir contre don Juan ses injures accoutumées.

En cette circonstance capitale, l’attitude des loyaux serviteurs de la monarchie montra à quel degré de déconsidération était tombée la reine mère. Les amis du prince armaient dans Madrid et se déclaraient résolus à tout. La plupart des maisons étaient barricadées, pourvues d’armes et de vivres, dans l’attente d’une bataille de rues. L’archevêque de Tolède et le comte de Villahumbrosa jugèrent que la conservation de Valenzuela au pouvoir ne valait pas le risque