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particulièrement versé dans la science du droit public. Sa réputation l’avait fait choisir pour répondre, au nom de la régence espagnole, au manifeste par lequel Louis XIV préluda à la guerre de Dévolution. L’opposition de Francisco Ramos à la reine devenait un fait de la plus haute importance, en raison de la situation et de la grande autorité dont il jouissait.

En ce moment (1675), la guerre de Hollande mettait l’Europe en feu. L’Espagne, l’empereur d’Allemagne, l’électeur de Brandebourg, s’étaient déclarés contre nous. D’ardentes hostilités avaient lieu sur terre et sur mer. Messine révoltée après Palerme s’était donnée à la France, et le gouverneur de Valence avait reçu du cabinet de la régente l’ordre de partir, à la tête d’une escadre, pour se joindre à la flotte de l’amiral Ruyter, arracher Messine aux Français, et faire rentrer la Sicile dans le devoir. Don Juan d’Autriche, selon son usage, avait paru accepter cette mission et avait même annoncé son prochain départ de Vinaroz.

Triste spectacle que ces intrigues de palais quand la monarchie s’en allait en lambeaux ! En ce moment critique, ce furent le précepteur et le confesseur même du roi qui donnèrent à don Juan le conseil de désobéir à l’ordre impératif de son gouvernement, pour se trouver à Madrid le jour de la proclamation de la majorité de son frère. Unissant leurs efforts, secondés par quelques-uns des grands officiers de la couronne, ils profitèrent des revers des armes espagnoles pour exagérer à dessein les maux du pays et persuader au jeune monarque que son frère, par les grandes charges qu’il avait remplies, était seul capable d’y porter remède. Ils finirent par obtenir de Charles II une lettre qui appelait don Juan à Madrid. Pour écrire cette lettre, le précepteur fut obligé de tenir la main de son disciple (llevar-le la mano), tel était le degré de son ignorance, amenée par l’état maladif dans lequel le malheureux prince avait vécu jusqu’alors. La lettre obtenue fut aussitôt transmise à don Juan dans le plus grand secret. Déployant une activité dont il n’usait guère pour le service de l’état, don Juan d’Autriche arriva à Madrid le 6 novembre entre huit ou neuf heures du matin, et descendit au Buen-Retiro. Il y trouva le carrosse du premier écuyer, comte de Medellin, lequel était dans la conspiration, et il se rendit aussitôt au palais. Le roi le reçut d’un air troublé, et le quitta, un quart d’heure après, pour passer dans la chambre de sa mère. Il n’en sortit que pour se rendre à la chapelle, où le suivit son frère, accompagné de toute la grandesse qu’avait réunie à Madrid la solennité de ce jour.

On devine le coup de théâtre opéré par la brusque apparition d’un prince que l’on croyait en ce moment voguant vers les mers de Sicile. La cabale triomphait. Déjà se répandait la nouvelle du