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immédiat du premier ministre, lui donnant trois heures pour quitter Madrid, deux heures de plus, disait-il, que lui-même n’avait accordé au malheureux Malladas ; si ce renvoi était refusé, don Juan se déclarait résolu à l’obtenir par la force.

Ces conditions furent acceptées. Le père Nithard quitta le palais, sans même prendre le temps de voir la reine. Craignant les outrages de la populace, le cardinal d’Aragon le prit dans son carrosse, et l’accompagna hors des portes de Madrid, jusqu’au village de Fuencarral. Le peuple l’accablant de malédictions sur son passage : « Tout beau, mes enfans, leur disait-il, je pars, je pars. » Il n’avait emporté que son manteau, et son bréviaire. Touché de pitié, le cardinal lui offrit mille pistoles, qu’il refusa. La reine réussit à lui faire parvenir quelques secours.

La plus extrême confusion continuait à régner dans les régions du pouvoir. En réalité, il n’y avait plus de gouvernement. « Si le lendemain, comme l’écrivait au chevalier de Grémonville M. de Lionne, qui connaissait le prix du temps et le honneur ordinaire de l’audace, don Juan eût pénétré dans Madrid, non-seulement il se fût rendu maître des affaires, il eût établi ses créatures dans les conseils et chassé tous ceux qui lui étaient contraires ou suspects, mis la reine au couvent de las Descalzas reales, mais il aurait pu se faire proclamer roi, tant il avait pour lui la faveur des peuples. » Les portes de Madrid n’étaient point gardées, on n’avait aucune troupe. Don Juan ne sut pas profiter de sa fortune. Cet ambitieux trop peu résolu révéla tout à coup une prudence extraordinaire. Comme étonné de sa propre audace, en se voyant en face du trône de Charles-Quint, il hésita. Il était d’ailleurs ami de ses aises, et participait de la lenteur espagaole. Charles II avait été à toute extrémité. Une saignée au pied l’avait rétabli ; mais ses médecins ne se cachaient pas pour déclarer qu’il ne pouvait vivre deux ans sans un miracle. Le bâtard se persuada, qu’au lieu de poursuivre son usurpation commencée, il était plus simple d’attendre la succession de son débile frère. Nommé vice-roi et vicaire-général d’Aragon, Valence, lies Baléares et Sardaigne, il resta, jusque vers le milieu de juin à Guadalajara. Il en partit le 18 pour son gouvernement de Sarragosse, où il alla attendre les événemens.

Après le renvoi du père Nithard, il n’y eut rien de changé dans ce qui était une nécessité de la situation et surtout du caractère de la reine. Marie-Anne d’Autriche s’était montrée fort irritée des manifestations populaires qui avaient accompagné lie départ de son confesseur. Son nom n’y avait pas été épargné, elle le savait, et. son antipathie pour les Espagnols s’en était accrue. Loin de s’apitoyer sur la détresse du peuple de Madrid, qui était extrême, il lui était échappé de dire qu’elle ne serait contente que lorsqu’elle les