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la tête d’un petit nombre de partisans. Établi d’abord au château de Jaca, reçu ensuite avec acclamation par les habitans de Sarragosse, il entretenait de là une active correspondance avec ceux des grands qui n’occupaient de place ni à la cour, ni dans l’état, qui haïssaient par conséquent le premier ministre, comme souverain dispensateur de ces places. Cette question des emplois était encore moins une affaire de vanité que de nécessité pour les membres de la grandesse ruinés par le luxe et les folles prodigalités : de là l’extrême importance que garde la question des emplois dans l’histoire que nous racontons. En conséquence, les mécontens ne cessaient de pousser le prince à mettre à exécution les menaces de sa lettre et à tenter un coup de force pour délivrer l’Espagne d’un étranger et d’un favori également détestés.

Don Juan n’avait pas besoin d’être excité. Depuis Henri de Transtamare, il s’est presque toujours rencontré en Espagne des bâtards et des cadets ambitieux pour se mettre à la tête de l’opposition et renverser ou essayer de renverser le gouvernement légitime. Charles II, maintenant âgé de huit ans, venait d’être atteint d’une maladie qui le mit aux portes du tombeau et fit négocier la France avec l’Empire pour le partage anticipé de ses états. Don Juan résolut de profiter de l’occasion et se mit en marche pour Madrid à la tête de deux ou trois cents chevaux. Le 6 mars 1669, il arrivait sans obstacle à Torrejon de Ardoz, à trois lieues de la capitale, Il y prit position, couvert sur son front par le Jarama, qui coule du nord au sud dans la direction d’Aranjuez et poussa des reconnaissances qui parurent bientôt aux portes de Madrid.

Cette simple démonstration suffit pour jeter le désarroi dans le gouvernement, la consternation à la cour. Le premier ministre n’avait rien su, par conséquent rien prévu. Une heure auparavant il s’était montré plein de confiance à l’ambassadeur de France. Il perdit la tête et ne conseilla rien. La reine et le conseil de régence ne songèrent pas davantage à prendre quelque mesure de défense. L’imbécillité de ce gouvernement d’un prêtre et d’une femme apparut alors tout entière. Le marquis de Villars exprima sa surprise de voir don Juan faire trembler la cour avec deux ou trois cents cavaliers et une poignée de partisans. Il dit qu’il était honteux que les serviteurs du roi et de la reine n’assemblassent point leurs amis pour lui résister, s’offrant lui-même à monter à cheval avec les Français résidant à Madrid. Tout fut inutile. L’idée seule de la guerre civile épouvantait les esprits. On résolut de négocier. Le cardinal d’Aragon, devenu archevêque de Tolède par la mort de Sandoval fut chargé de se rendre auprès du prince et de lui demander ses conditions.

La réponse de don Juan fut décisive. Il exigea le renvoi