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flotte française, composée de trente-six vaisseaux eu de six brûlots, rendait, la traversée impassible, il abandonna son commandement au marquis de Castel-Rodrigo, et revint pauvrement conspirer à Consuegra, plus occupé des prétentions de sa vanité que soucieux des intérêts de sa patrie. Plus tard la reine se trouva, fondée à lui en faire le juste reproche.

La situation, comme on voit, était fort tendue. Les. défiances mutuelles engendrant les soupçons, les deux rivaux s’accusaient publiquement l’un l’autre : de méditer des projets d’enlèvement ou d’assassinat, projets que les pratiques du temps ne rendaient nullement improbables. La cour, poussée à bout, résolut de faire, un exemple. Il y avait à Madrid un Aragonais nommé Malladas, fort aimé de don Juan, qui passait pour recruter des partisans à la cause du prince. Arrêté à onze heures du soir, on lui donna une heure pour se préparer à la mort, et il subit la peine du garrot sur un ordre signé de la main de la reine. À ce moment, un officier réformé, le capitaine Pinilla, se présentait à la porte de l’appartement de la régente demandant instamment à lui parler en particulier. D’abord repoussé, puis enfin introduit, il passa une heure enfermé avec elle. Il venait se dénoncer lui-même, comme ayant été chargé, lui troisième, d’assassiner le père Nithard. A l’issue de cet entra-tien, ordre fut donné d’arrêter le, nommé Patino, frère du secrétaire particulier de don Juan. En même temps, cinquante hommes de cavalerie, sous le commandement du marquis de Salinas, partaient pour Consuegra, avec ordre de s’assurer de la personne du prince. « Ils trouvèrent bien la cage, mais l’oiseau était parti. »

Averti par les amis qu’il, avait jusque dans le palais, don Juan avait pourvu à sa sûreté en quittant Consuegra pour se retirer en Aragon, avec le dessein d’y travailler à préparer son retour. Au moment de monter à cheval, il adressa à la reine une lettre hautaine, où, tout en protestant de n’avoir en vue que le service de Dieu et le service du roi, il appuyait sur ce qu’il appelait l’exécrable gouvernement du premier ministre, qu’il déclarait coupable des malheurs de la monarchie. L’Espagne venait de perdre la Flandre et la Franche-Comté ; il qualifiait le père Nithard en termes insultans, l’accusait, d’avoir prémédité de le faire assassiner, et sommait la reine de le renvoyer, lui laissant entendre que, ce qu’elle ne ferait pas, il se verrait forcé par le cri public, de l’exécuter lui-même.

L’origine de la fortune de Valenzuela se trouve dans ces graves événemens.

Depuis les révélations du capitaine Pinilla, le père Nithard vivait en des transes continuelles. Il cherchait en même temps des agens intelligens propres à le renseigner sur les desseins qu’il prêtait à