Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourtant un moment célèbre, qui, après le renvoi du père Nithard, devint favori de Marie-Anne d’Autriche, veuve de Philippe IV, gouverna la monarchie espagnole en qualité de premier ministre et joua quelque temps, à la cour de Charles II, le rôle de Mazarin, auquel il n’est pas question de le comparer. Cet homme, dont la destinée rappelle aussi les aventures d’Antonio Perez, la fortune et les disgrâces tragiques du maréchal d’Ancre, est don Fernand de Valenzuela. Ni la Biographie universelle, ni la Biographie générale n’en font mention. Le dictionnaire de Moréri, cité à tort, parle d’un Valenzuela qui fut évêque de Salamanque, vers le milieu du XVIIe siècle. Le sujet a été touché en passant par M. Mignet, et ce qu’en dit Mme d’Aulnoy n’a pas été perdu, je crois, pour l’illustre auteur de Ruy Blas. Les lecteurs de la Revue trouveront peut-être quelque intérêt à connaître les renseignemens inédits que renferme sur ce favori d’une reine le dernier volume publié par l’Académie de Madrid.


I

La famille de Valenzuela était originaire de Ronda, la ville moresque, pittoresquement groupée aux flancs de son rocher, au milieu de la sierra de ce nom. Lope de Vega a placé à Ronda les premières scènes de sa charmante comédie la Moza de cántaro, utile commentaire de l’histoire que nous allons raconter[1]. Ronda est le cœur de l’Andalousie, le pays des hardis contrebandiers, des caractères aventureux et romanesques.

Sans appartenir à la première noblesse, la famille de Valenzuela occupait un certain rang dans le pays, puisqu’elle put faire les preuves exigées pour entrer dans l’ordre des chevaliers de Saint-Jacques. Rien n’avait encore attiré l’attention sur cette famille ; elle vivait dans son honorable médiocrité, lorsqu’une aventure de galanterie, qui fit beaucoup de scandale et de bruit, obligea le père de notre héros, don Francisco de Valenzuela, à s’éloigner précipitamment de Ronda, pour se réfugier à Naples, où il prit du service dans l’armée espagnole du sud de l’Italie. Il s’écoula quelques années, au bout desquelles don Francisco, lassé de l’exil, céda au désir de revoir sa patrie et sa famille. Après s’être tenu caché dans les gorges rocheuses qui bordent le lit du Guadairo, au pied de Ronda, il pénètre de nuit, bien armé, dans la ville et se présente brusquement à son père. Le vieillard, surpris, se jette dans les bras de son fils, et dans les transports de sa joie il provoque si malheureusement la décharge d’un pistolet que l’exilé portait à sa ceinture,

  1. Voyez Œuvres dramatiques de Lope de Vega, t. II, p. 345 ; Paris, Didier, 1879.